En mars, j’avais fait la critique de Zanaka, premier album de Jain (critique que vous retrouverez ici). Ce premier album avait fait partie d’un effort de la part de Columbia de faire connaître l’artiste Jain ailleurs que dans sa France natale. Tant mieux, l’album était en effet très bon. Et pour Souldier, son deuxième album, on y a accès en même temps à travers la planète. La chanteuse poursuit sur sa stylistique Reggae-Jamaïque-Caraïbes, enlève le côté africain, mais y ajoute ici des passages Moyen-Orient et tente un peu le Rap à sa façon toute personnelle, le tout, toujours en anglais. Grand bien lui en fait, celle qui a gagné deux Victoires en 2017 (Meilleur clip et Artiste féminine de l’année) est numéro un des ventes depuis lundi en France et débute le mois prochain une tournée internationale qui nous permettra de l’accueillir au Zénith de Saint-Eustache le 25 octobre 2018.
D’emblée, son premier disque Zanaka était sur un format maximisant la qualité, avec deux faces de dix minutes et deux faces de six minutes en 45 tours. On retrouve le même format avec Souldier, soit dix chansons d’environ trois minutes sur quatre faces en 45 tours. Je n’ai pas grand-chose à redire sur les impressions ni la qualité du matriçage, c’est du gros volume, c’est de la basse à profusion, des instruments francs et nets (mais beaucoup étant numériques), c’est parfaitement utilisable par les DJ.
Là où j’ai, encore une fois, de la difficulté, est où elle persiste et signe avec des faces à deux chansons de trois minutes. Je reste sur mon idée que ce genre de disque aurait pu être mis sur trois faces et de conserver la quatrième pour des versions remixées par des DJ de renom, ou encore une ou deux versions étendues, en direct, bref, une face de chansons éditions spéciales pour les fous qui achètent le vinyle ou pour les clubs désirant faire jouer son disque à tue-tête. En bonus, nous permettre d’écouter le disque plus de six minutes avant d’avoir à se lever pour changer à la face B.
Automatisme est le projet de William Jourdain, connu chez Fréquences comme un des fous vous proposant ses sélections en travail de jour. C’est un passionné de la théorie musicale, de l’exploration, des artistes poussant la note toujours plus loin. Le 1er octobre 2016, j’avais déjà écrit une publication sur son premier album chez Constellation dans le temps que je les faisais sur mon Facebook. Voici cet article (presque) verbatim (avec quelques fautes d’orthographe corrigées) en encart pour ceux qui ont un intérêt.
Automatisme – Momentform Accumulations
OK, je suis violemment biaisé. Pub copinage! C’est le premier album « grand label » et premier vinyle de mon pote William! C’est aussi son disque le plus accessible. Ses premiers disques autogérés étaient excellents, mais beaucoup plus expérimentaux et cérébraux. Cet album est définitivement d’une autre mouture. En fait, cet album ambiant se danse très bien! Le côté glitch est très assumé, mais il est aussi mis en veilleuse par rapport à l’émotion. Un petit côté assumé industriel et Krautrock-ish viennent conclure le deal.
Côté réalisation, ce disque torche des culs. Il a beaucoup de basses, un noise floor très bas, de la force de caractère. Certaines fréquences ont de la difficulté à certains moments et sont difficiles côté phase, la basse très grave est entre chien et loup. Les aigus sont parfois omniprésents, parfois tronqués. Le choix de laisser une bonne quantité de dead wax afin de préserver au maximum les hautes fréquences au détriment des basses est un choix judicieux, surtout que le matriçage met déjà l’emphase sur ces dernières. La gravure est dynamique et les attaques précises, trait nécessaire à ce type de musique.
Longue vie à Automatisme, Constellation Records et William !
Transit, le dernier volume de la part d’Automatisme, est encore une fois relativement accessible, on y retrouve d’ailleurs un peu la signature post-rock réputée de Constellation, mais avec du glitch et de l’électro à la place de la guitare électrique. Les pièces musicales sont regroupées en un grand tableau pour la première face, un peu comme les fresques à la Slow Riot For New Zero Kanada de GY ! BE, et de plus petits tableaux sur la deuxième face. En stylistique, on se fait plonger dans des ambiances différentes, on se laisse emporter dans différents univers connectés ou disjoints, qu’on peut écouter de manière cérébrale ou naïve. Je vous invite d’ailleurs à écouter un documentaire d’un de nos grands compositeurs à ce propos afin de vous guider à l’écoute plus cérébrale du Field Recording.
Côté sonorité, il y a un intérêt à faire une étude comparative entre le premier album commercial d’Automatisme et ce tout dernier, les deux ayant une signature sonore totalement différente. Malgré que ce soit Harris Newman qui ait réalisé les deux matriçages, les albums ne se ressemblent pas du tout. La version téléchargeable de Transit est d’ailleurs aussi d’une différente sonorité que le vinyle. Après une petite enquête auprès de l’intéressé, le disque vinyle a été matricé avec un prérequis différent de la version numérique, là où la compression est plus accentuée afin de permettre une écoute dans des différentes conditions. En comparaison, le premier disque, Momentform Accumulations, a une spatialisation plus simple et des montages avec des niveaux d’interaction moindres. En d’autres mots, si je dois décrire les albums, Momentform est un album typiquement numérique, même en vinyle. Les plages de fréquences changeant constamment de volume étant une preuve de la maximisation numérique préalable au matriçage. En opposition, on a les deux versions avec Transit. Une première accessible en téléchargement, prêt à l’écoute, avec un volume plus égal à travers l’œuvre, mais avec des fréquences plus variables et un effet de gating plus présent, ce qui se traduit en une plus grande présence de chaque instrument et chaque intervention, qui donne un effet dans notre face.
Et la deuxième, accessible en vinyle, est celle qui mérite notre attention pour cet article. Ce n’est pas un travail simple que de faire un matriçage des albums d’Automatisme. Il faut pouvoir décoder qu’est-ce qui est un effet de volume limité voulu, qu’est-ce qui doit ressortir par-dessus le reste, et qu’est-ce qui est un effet incidental au matriçage numérique à volume élevé. Je vous laisse en écoute de Bureau 1, la deuxième partie du tableau de la face A, pour vous faire une idée du travail d’étude de l’œuvre requis. En plus, la première face est fort bien remplie, avec plus de 20 minutes de musique complexe.
Le niveau d’enregistrement du vinyle est beaucoup plus bas que Momentform ou que la version numérique de Transit, mais en contrepartie, on a droit à un beaucoup plus grand dynamisme. On a aussi droit à des mouvements, le premier Bureau 0 débutant avec un volume faible, avec un ajustement marqué mais naturel vers Bureau 1. Les maximisations et limitations de volume sont limitées à quelques parties les nécessitant, dont la finale avec Bureau 3, dont le glitch maximisé fait partie de l’étude de style de la part de Harris Newman. J’y ai trouvé mon pied : quand la basse omniprésente arrive, les autres instruments ne réagissent pas; quand les glitchs apparaissent, on a soit l’impression qu’ils coulent de souche, ou qu’ils viennent détruire l’ordre établi; quand on a des moments de compression sonore sporadique, ils mettent l’emphase sur un événement en particulier. Ces changements sont heureux si on joue le disque avec un volume plus élevé, mais moins avec une écoute d’ambiance. Si vous avez une bonne chaîne stéréo avec un bon caisson d’extrêmes-graves, sautez sur le vinyle! Très belle gravure!
On achète si on aime Fennesz, Simon Scott, The Synthetic Dream Foundation, Vladimir Manovski, Moderat, Uwe Schmidt (Lassigue Bendthaus, …).
La preuve que La Voix peut parfois mener loin, j’écris bien ici à propos de l’artiste montréalais bilingue qui a été dans l’équipe de Pierre Lapointe en 2014-2015, se rendant jusqu’en finale. Matt Holubowski, ayant clairement touché une corde sensible avec les personnes le découvrant, a été signé peu de temps après la saison par Audiogram. C’était une formalité pour ces derniers, le premier disque de 2014 d’Holubowski, « Ogen, Old Man » s’est écoulé à environ 15 000 exemplaires, tous assemblés à la main par l’artiste lui-même.
Plus tard en 2016, Matt Holubowski sortit un premier album avec Audiogram, « Solitudes ». Il est d’ailleurs toujours en tournée avec le matériel de ce dernier. Mais deux années, c’est long. Alors il a tout de même pensé à nous et a produit un beau petit disque étendu, une première face avec deux chansons avec une plus grande orchestration, et une deuxième face avec des chansons plus simples, avec voix, guitare et très peu d’orchestrations.
Pour la qualité, le disque est impeccablement enregistré, très simple, très efficace. En même temps, le médium du disque vinyle a été plus ou moins créé pour ce genre de pièces, ajoutant juste la bonne quantité de chaleur nécessaire à bien rendre cet artiste bien de chez nous. Malgré une dizaine de minutes par face, le disque de dix pouces s’en sort parfaitement bien, la musique étant très disparate, permettant de bien moduler la gravure et de maximiser l’espace utilisé. Le disque n’est donc pas compressé outre mesure, il n’a pas de bruit de fond, ni une coupure forte sur les hautes fréquences. Très bon travail de Marc Thériault au matriçage, lui qui a été sollicité entre autres par Marie-Mai, Safia Nolin, Steve Hill ainsi que par Ariane Moffatt, et ce, cette année uniquement. [Je ne m’étends que rarement sur l’équipe technique, mais je dois mentionner qu’il a effectué le matriçage de l’excellent CD classique New Worlds d’Ana Sokolovic distribué par Analekta — sautez dessus!] De retour sur notre disque après ce petit aparté, en d’autres mots, par design, ce genre de disque est fait pour les disques vinyle, et à moins de travailler très fort pour massacrer le produit final (ce que beaucoup réussissent hélas – d’où l’utilité de ma chronique), le résultat va être excellent. Hâte de voir le prochain disque!
On a parfois la chance d’avoir de grandes familles musicales. On peut penser aux Marley bien entendu, et ici, on a droit aux Kuti. D’abord avec Fela Kuti (1938-1997), qui nous a habitués aux longues chansons d’une quinzaine de minutes sur un thème. Ensuite, avec son plus vieux fils, Femi Kuti, grand saxophoniste avec paroles toujours aussi incendiaires, reprenant bien l’Afrobeat de son père. Finalement, nous avons ici Seun Kuti, le plus jeune des fils de Fela, célébrant ici son dixième anniversaire d’enregistrement de disques avec le groupe de son défunt père Egypt 80. Black Times, un excellent disque suivant la tradition familiale d’Afrobeat, possède des chansons beaucoup plus courtes (moins de dix minutes par chanson), mais tout aussi incendiaires. La chanson-titre du disque est jouée de concert avec Carlos Santana à la guitare électrique, ce qui ajoute une touche magique au tout.
Il faut faire confiance à Strut pour produire de si grands disques. Il est rare d’avoir de mauvais produits avec cette étiquette, spécialisée dans la réédition de vieux disques. Mais ici, leur étiquette parente !K7 Label Group continue de leur donner carte blanche avec des exceptions confirmant la règle, en produisant des disques de nouveaux contenus. Malgré l’utilisation de moyens modernes, toute l’équipe de production, de Pierre Dozin à l’enregistrement (faisant affaire avec Seun depuis 2015), Qmillion au montage (ayant entre autres gagné un Grammy en 2013 pour Black Radio de Robert Glasper), jusqu’à Frank Merritt au matriçage vinyle (travaillant avec Strut depuis quelques années, dont le projet de réédition de Fẹla – Live In Detroit 1986), ont fait de leur mieux afin de conserver l’énergie et la sonorité propres à l’Afrobeat. De la basse à profusion, une simplicité d’arrangements malgré la quantité d’instruments, une sonorité coulante de souche donnant le goût de danser. Enfin différent de ce que Fela faisait, une belle progression du style musical, tout en restant déférent. Longue vie à Seun!
La musique d’inspiration internationale est un cas spécial au Japon. Depuis la fin du 19e siècle est arrivée l’influence du reste de la planète côté arts. On peut le voir en musique avec l’arrivée progressive du classique, de l’écriture musicale occidentale, et plus tard du jazz dans les années 1930. Avec la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de ces influences de l’Ouest sont devenues illégales, étant la musique de l’Ennemi. Après la guerre, le Japon conserva un certain protectionnisme sain, mais continua de s’ouvrir sur le monde. Beaucoup des pièces musicales dans des styles plus occidentaux se doivent de conserver un certain style japonais. Par exemple, le grand Takeshi « Terry » Terauchi, un des meilleurs guitaristes de style rockabilly surf, emprunte un style de jeu au Koto et lorsque ses chansons, jugées trop occidentales, ne pouvaient plus être enseignées à l’école, il reprit dans son style rock des grandes chansons classiques japonaises.
Il y a eu donc un très grand engouement pour la musique jazz, mais cette dernière n’a jamais été mise à l’avant. Arriva Ryo Fukui (1948-2016) qui aimait ce genre de musique, mais n’avait rien d’un musicien. Autodidacte, il décida d’apprendre à jouer le piano par lui-même, et avec sa passion, devint un des meilleurs pianistes jazz d’improvisation en direct. Ses quelques albums en disent bien peu sur son illustre carrière, assez grande pour qu’il puisse s’ouvrir son propre club jazz, le Slowboat dans sa ville de Sapporo natale. Sa qualité de musicien est telle, tout en restant totalement cachée à la face du monde, qu’un simple vidéo de son premier album apparut sur YouTube en 2015, et depuis, cette copie numérique est rendue à plus de 6 millions d’écoutes au moment de la publication de ce billet.
Avec une telle folie, l’étiquette suisse WRWTFWW (We Release Whatever The Fuck We Want – le meilleur nom d’étiquette!) se dit qu’il était temps de diversifier ses activités et démarra une branche, WRJ (We Release Jazz), dont les deux premières offrandes sont les deux premiers disques de Fukui Ryo. Et quelle version! Autant je vous avais précédemment parlé de rock japonais qui n’avait pas une qualité exemplaire de bande maîtresse, autant celle-ci est tout simplement exceptionnelle! Récupérée des bandes à demi-vitesse, WRJ a mis tous les efforts nécessaires afin d’obtenir la version ultime de ses albums. Le disque pour Scenery est tout simplement parfait! Une superbe qualité sonore, un parfait écrin qui sied un tel bijou de disque.
Si vous aimez le jazz cool, modal et bop, sautez sur les quelques copies restantes de ce disque, vous n’allez pas le regretter!
Swans est un groupe de noise Américain, d’abord connu pour son côté avant-gardiste et rock industriel assumé, avant de se convertir tranquillement au post-rock. Comme tous les disques convertissant son style musical, on va avoir des gens qui aiment, d’autres qui haïssent. Mais on ne laisse pas indifférent. En tant que tel, les admirateurs du pur industriel n’aiment pas du tout cet album, qui a d’ailleurs été produit pour le marché Allemand. Mais les fous du post-rock, eux, y voient le sommet de leur carrière. On retrouve donc dans ce disque un côté faisant penser un peu à du Suuns, un autre faisant penser à du Sunn O))). Il y a un peu de noise, un peu de shoegaze, un peu de tout.
Et cette version vinyle a été réalisée avec toute la déférence nécessaire pour un tel album. La sonorité est forte, lourde, l’environnement est pesant, les sonorités sont pures, on se sent presque libéré et joyeux malgré l’intensité. C’est bien évidemment très compressé, mais c’est plus les chansons qui le nécessitent, c’est un choix artistique. On le remarque bien avec certains très forts coups de cymbales, des mouvements qui augmentent et réduisent. Le disque n’est pas du tout plat, et on se fait surprendre par le disque. Très belle conversion en vinyle de la part de Young God.
Le disque n’est hélas plus disponible chez Fréquences
Être capable d’endisquer est un privilège. Melvin Sparks (1946-2011) a été un guitariste de carrière qui a aidé beaucoup des plus grands. On peut penser de Lou Donaldson, Curtis Mayfield, en se rendant jusqu’à Lonnie Smith. En fait, si vous aimez le funk et le soul des années 70, vous avez probablement du Sparks sur vos albums. En plus que son talent aide les musiciens les plus connus, il a eu la chance de produire une douzaine de disques lui-même. Chacun de ces disques porte bien l’air du temps de la musique black de ces années, jusqu’aux sorties plus commerciales à la fin des années 70. Ces dernières sont en lien direct avec la séparation des jazzmen et des musiciens qui se sont convertis au disco et au R&B plus pop. Si vous aimez Grant Green, vous aimerez les disques de Melvin Sparks. Mais n’est pas un grand nom qui le veut. Tout comme Idris Muhammad à la batterie sur une bonne partie de l’album, on peut reconnaître le nom, on peut aimer le musicien, mais cette connaissance ne se traduira pas nécessairement en un achat de disque.
Il y a des raisons pour lesquelles l’extraordinaire album Texas Twister de 1973 ne sera jamais réédité avant 2018 : le compositeur-interprète n’est pas à l’avant de ses propres chansons, il préfère laisser jouer les autres musiciens tout en restant lui-même en sourdine, se contentant souvent de ne jouer que le thème. Un fanatique de guitare n’y retrouvera pas ici la cote d’un frontman. Mais si on se fie à l’album lui-même, les chansons sont excellentes, les grooves sont certains, la direction est bonne pour les chansons elles-mêmes, ce n’est juste pas ce que les gens vont nécessairement rechercher. On peut aussi voir, comme beaucoup des albums du temps, qu’il n’y a pas de paroles, ce sont des chansons où on peut s’imaginer une personne chanter, mais il n’y a pas de chant. Moi, j’adore, j’aime les grooves, le soul, le funky jazz et même des beaux et longs strolls comme Gathering Together, qui s’écoutent bien autant en album à haut volume qu’en sourdine pendant d’autres activités ou des fêtes. J’adore le côté modal, le côté noodling, l’atmosphère relax et sophistiquée, précurseur du Mod.
Je n’ai pas beaucoup à redire sur l’excellent travail de Light In The Attic à la distribution, Tidal Waves à la réédition, ces entreprises savent ce qu’ils font, la qualité du disque vinyle est absolument impeccable, la musique qui en sort est difficile à battre. Une très bonne reproduction, et pour tous les admirateurs finis de groove des années 70, c’est une perle rare, du début à la fin!
Je vais le répéter à chaque fois : j’aime ceux qui s’autoproduisent, j’aime les bibittes étranges et j’aime les produits flyés. C’est pour ça que Orloge Simard entre exactement dans mes cordes. Il faut savoir que Orloge, c’est un personnage fictif : c’est le pendant misogyne, trash, sans aucune classe, parlant de cul, qui dit tout haut et qui sacre comme un charretier de Olivier Simard, preuve que d’aller à l’université en lettres ne t’empêche pas de sortir des textes de la poudrière. Issu d’une union peu recommandable entre Mononc’ Serge et Otarie en trip à trois avec les Horny Bitches et des Cowboy Fringants qui sont découragés en imprésarios, le quintette sort de son bandcamp pour son deuxième album, et persiste et signe sur leur côté trash. Le CD, sorti en 2017, a fait le tour des bars, des cégeps et universités de la province avec des chansons déjantées pour DJ rebelles. Heureux de retrouver ça en vinyle!
Au Cégep, j’étais spectateur à un concours où des jeunes interprètes se donnaient. Un de ces derniers a pris comme chanson Jonquière de Plume Latraverse, il était bien parti avec toute la salle qui chantait avec lui… jusqu’à ce qu’il s’excuse avant de dire « Fou comme une plotte ». Il s’est excusé! Il a perdu toute crédibilité à cet instant. Il n’a absolument pas assumé son choix de chanson. Eh bien, je peux dire avec certitude absolue que jamais ce chanteur-interprète n’aurait pu prendre une seule des chansons de cet album! Voler haut? Si on pose la question, on ne comprend pas le groupe hautement coloré et caricatural. En même temps, c’est bien interprété, mais il ne faut pas chercher la profondeur dans les textes. En fait, si, il faut : c’est une démarche totalement artistique et bien recherchée de la part de Simard, et il faut bien évidemment prendre le tout au second degré, voir la poésie du côté trash assumé et des situations sorties de l’imaginaire collectif du personnage sans classe de son voisinage.
Et côté qualité, on parle de quoi? C’est un bel album double avec tous les ingrédients nécessaires afin de créer un parfait album. Une quinzaine de minutes par face ou moins, un disque lourd, peu de disques pour user la matrice de pressage. Hélas, le groupe Orloge n’a pas su faire un matriçage efficace pour les vinyles. Le tout est maximisé comme sur YouTube, les débuts de chansons à la guitare gardent le même volume que la suite plus rockée. On pense au début avec Crescendo qui n’est pas du tout en crescendo, justement. J’ai tout de même l’impression qu’ils ont utilisé un matriçage légèrement différent que leur CD avec une version de plus haute résolution. La chaleur y est, la précision y est, mais ça aurait pu être mieux. En même temps, comme premier vinyle, c’est un bon départ.
Parfois, il y a des petites perles qui sont produites sans que les gens soient au courant, des disques qui auraient dû s’éteindre, mais qui ne l’ont pas fait. On peut penser au disque Incredible Bongo Band qui est une des raisons fort obscures que le rap et le hip-hop new-yorkais ont eues autant de succès. On peut aussi penser aux disques produits dans des garages qui ont démarré le mouvement punk et new wave, ou des fous de leur style comme Anonymous avec leur disque Inside The Shadow. Mais on peut aussi penser à un groupe de musiciens fous d’Oklahoma qui roulaient leur bosse depuis quelques années et qui ont décidé de produire un disque ensemble, sans l’aide d’une grande étiquette. Voilà ce qu’est Messengers Incorporated!
Vous ne pouvez retrouver Messengers Incorporated que sur ce disque. Pour le reste, vous deviez être dans la communauté noire d’Oklahoma City dans les années 70. Les musiciens, surtout connus pour leurs spectacles et leurs performances en direct, n’ont que peu endisqué. Les plus connus sont probablement le couple de Charles et Barbara Burton qui ont joué et chanté avec les plus grands, d’Art Blakey à Tom Jones.
Et ce disque est une bombe de qualité. Rematricé par Garrett Haines, connu pour sa passion du ruban magnétique, le disque reproduit cette perle du soul et du funk dans toute sa splendeur. On sent la joie et la passion lors de l’écoute de ce disque. Le disque n’est pas plat, c’est certain! Je dirais que je suis légèrement embêté par les dernières chansons de chaque face, qui jouent clairement à plus haut volume que leurs ballades qui vont immédiatement avant. Mais je ne peux pas dire que le disque sonne numérique. On retrouve vraiment toute la qualité des rubans d’origine. Une petite perle, même en 2018!
On achète si on aime The New Mastersounds, Soul Toronados, Harvey & The Phenomenals, l’étiquette Daptone Records.
Chainsaw Kittens est un groupe peu conventionnel. En fait, si, il est conventionnel. Ou non. D’entrée de jeu, c’est son problème : le groupe est trop rock conventionnel pour les alternatifs, mais il est trop alternatif pour les rockers. Il a des sonorités trop pop pour les fanatiques de Smashing Pumpkins, pas assez grunge pour les admirateurs de Nirvana, mais ce n’est pas de la pop bonbon. Selon l’ère des disques, ils ont été considérés comme hard rock, punk, alternatif, indie, métal, avant que les critiques n’abandonnent l’idée et ne les appellent que « rock ». C’est ce genre de groupe qui a fait la première partie de Smashing Pumpkins le temps d’une tournée, et après leur excellent album Pop Heiress (1994), ces derniers ont signé les Kittens pour la production d’un album. La mention était prenez tout le temps que vous ayez besoin et fassiez le meilleur album que vous le pouvez! Après deux années de travail, ils ont pondu cet album, un album avec lequel ils se sont fait plaisir.
Dans les groupes qui n’ont pas de succès, mais qui sont excellents, c’est bien eux. Dans les années 90, les critiques ont adoré leurs albums… mais il n’y a pas eu beaucoup de ventes. Encore aujourd’hui, ce n’est pas un gros vendeur. Malgré les 1000 albums produits, malgré le très beau disque (mais le prix un peu élevé) et la belle production, les gens ne se sont pas bousculés aux portes. Malgré que j’adore le disque et que la production soit excellente et les chansons et textes sont variés et bien produits, ça reste un disque d’un groupe qui n’a pas levé hélas. Le hype n’est jamais arrivé pour eux.
Et côté disque, c’est un très bon disque. Peut-être limite côté quantité de musique par face, et la production est un peu brouillonne côté matriçage, ça sent le travail maison. Ils auraient pu mettre deux disques avec quelques extras, surtout à ce prix. Le bruit de fond est légèrement présent et le volume des pièces est normalisé, ce qui empêche d’avoir un album qui a une progression constante : chaque pièce va aller au maximum de volume numérique qu’il peut aller, que ce soit une balade qui devrait être plus calme ou une chanson à pleine puissance. Reste que la sonorité de l’album y est, la chaleur du vinyle nous rend le disque génial à écouter.
C’est peut-être ça le problème avec Chainsaw Kittens : ils y sont presque, mais il manque juste un tout petit quelque chose. J’aurais aimé apprécier plus ce disque, il est très bon, mais il n’est pas à la hauteur du groupe.