Réédition 1969/2019: The Don Rendell/Ian Carr Quintet – Change Is

… et quel changement!

Artiste: The Don Rendell / Ian Carr Quintet
Album: Change Is

V.O.: 1969; Vinyle; Columbia Records; SCX 6368

En Test: 2019; Vinyle; 180g

Étiquette: Jazzman; EMI
JMANLP 111X

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C’est difficile de surestimer l’importance de ce quintette sur la musique jazz, ou même l’importance de ce disque en particulier. Le jazz possède ce quelque chose d’immanquablement américain, de black, de musique du peuple aussi. C’est une musique issue de la rue, une version grande ville du delta blues. Mais pour tous les grands musiciens de ce bord de l’océan, il y en a quelques-uns qui s’infiltrent de l’autre bord aussi. Le quintette de Don Rendell et de Ian Carr est exactement ça : des musiciens incroyables qui nous invitent dans leur univers disparate.

Et c’est exactement ce que Change Is nous présente : parfois de la musique actuelle, parfois du jazz libre, des thèmes basés sur de la musique rock, parfois des standards britanniques, et même de la musique populaire du temps. C’est britannique avec la tasse de thé, le chapeau melon et la pipe avec les bottes yé-yé et les formes psychédéliques dans le projecteur à huile ; c’est aussi libre qu’une session d’amis qui s’enregistrent ; ça passe de midi à quatorze heures, il y a de tout ! Côté disque, c’est le dernier de participation entre Rendell et Carr, ce dernier démarrant son groupe rock/free jazz Nucleus peu après. C’est aussi le premier disque du clarinettiste Stan Robinson, autre grand musicien ayant une longue carrière avant et après ce disque.

Et pour le vinyle, cette série de rééditions de 2019 est une incroyable bombe ! 50 ans après la sortie initiale, le disque d’origine, jamais réédité en vinyle, se vend à des prix stratosphériques. L’unique version CD nous proposant l’unique autre chance d’obtenir ce chef-d’œuvre. Pour donner une idée, l’édition trop limitée de mille copies des cinq disques se vend dans les 500 $… Bref : que vous détestiez ou non la version, c’est ce que vous allez avoir. Et nous sommes chanceux, le disque est extraordinaire ! Reste que la prise de son initiale est un peu chambranlante, avec des volumes qui augmentent et descendent au gré de la musique qui s’y joue, mais on parle ici du matériel source. Quel travail de Colin Young à la restauration et Alex Wharton au rematriçage ! On pardonnera les petits côtés avec les percussions ressortant les transitoires de façon exacerbée pour faire plaisir aux audiophiles, et on se concentrera sur le matériel musical sublime.

Une collection à avoir !

Qualité du vinyle: 9/10 et pour un Jazzman, c’est inespéré!

Réédition RSD 1969/2017: Shocking Blue – At Home

She’s Got It, yeah baby en vinyle bleu!

Album: At Home
Artiste: Shocking Blue

V.O.: 1969 Vinyle en encart
Pink Elephant (Pays-Bas)
888.001

En Test: 2017 Vinyle bleu, étendu, en encart RSD
Reprise de la version 2010 vinyle 180g

Étiquette: Music On Vinyl, Red Bullet
MOVLP119, RB 33195

Shocking Blue est un groupe de La Haye qui a eu un certain succès avec la chanson Venus, reprise une quinzaine d’années plus tard par Bananarama. Dans les faits divers, la chanson Venus n’apparaît pas dans la version originale de l’album, mais bien dans les versions internationales de l’album. C’est d’ailleurs un méli-mélo de versions de cet album qui nous est présentée dans tous les pays, parfois avec, parfois sans Venus. Dans les autres chansons connues de cet album, on compte Long and Lonesome Road, reprise dans Je suis fatigué de Quest Pistols ainsi que des reprises de Nirvana et des échantillonnages par The Prodigy de Love Buzz. Bref : un groupe qui a composé des chansons qui ont fait le tour de la planète, mais un groupe musical qui n’a connu aucune notoriété réelle.

At Home est leur deuxième album, leur premier avec Mariska Veres au chant, celui qui a eu le plus de succès. Mais ça s’arrête un peu là pour le groupe. Et ce n’est pas par manque de qualité, les chansons proposées sont un rock psychédélique assumé, cernant parfaitement l’année du Flower Power, une excellente qualité d’interprétation. Même si on ne reconnaît réellement que Venus dans le lot, reste que le reste de l’album est très solide.

Et cette version… ultime? Il s’agit ici exactement de la même mouture que la version 2010, provenant de la numérisation des bandes maîtresses. On y retrouve les mêmes défauts numériques, y compris un saut numérique à la fin le la deuxième piste, des blancs numériques entre chaque piste. Et à vouloir ajouter du matériel, Music On Vinyl a mis aux alentours de 25 minutes de musique sur la première face, et une vingtaine sur la deuxième, le tout avec le volume maximisé, alors la première face est plus faible qualitativement parlant (et en volume) que la deuxième. La chanson Venus étant la chanson connue du lot, d’une autre session, elle eut droit à un traitement légèrement différent. Elle détonne donc un peu. Autant la qualité du produit est habituellement excellente, autant ça sonne faible, friable, criard, surtout la cithare, surtout dans The Butterfly And I. On n’a pas réellement d’âme sur la version, ce qui est dommage. Très dommage.

On achète si on aime Jefferson Airplane, The Animals, The Mamas And The Papas.

 

 

Rétrospective Pierre Henry

Le chemin de croix d’un grand homme : Pierre Henry.

Album : Les Jerks électroniques de la Messe pour le temps présent et Musiques Concrètes pour Maurice Béjart
Artistes : Pierre Henry, Michel Colombier

En Test : 1968 Vinyle (Canada)

Étiquette : Philips
836.893

1968. On aperçoit la face cachée de la lune. L’année d’après, des humains iront sur la lune. Le peace and love vogue de bon train. Les Beatles sortent leur album blanc avec leur infâme Revolution 9. Cette même année, Michel Colombier et Pierre Henry forment un duo improbable afin de sortir une pièce musicale liant le côté psyché rock cinématographique de Colombier et le côté concret électroacoustique de Henry. Succès mondial aussi improbable qu’incroyable! Aujourd’hui, ce genre de pièce serait plus considérée comme une œuvre naïve liant du yé-yé à du glitch… mais il faut se rapporter à ce moment où la musique classique fait place à la musique contemporaine, actuelle, concrète, électronique, dodécaphoniste, où par expérimentation, on tente de découvrir des nouvelles sonorités, où la musicalité est remise en cause. Et cette pièce, naïve, est juste assez populaire pour propulser cet album dans les tops de la planète et révolutionner la conception musicale des amateurs de musique. Si on pousse un peu plus loin, le succès foudroyant de Psyché Rock, la deuxième pièce de l’œuvre, est basé sur Louie Louie, pièce des années 50. On a donc droit à une pièce rétro, actuelle (pour 1968) et futuriste avec les «jerks» de Henry. Quelle chanson! Pièce qui d’ailleurs a été reprise par des DJ, pour le thème de Futurama.

Mais cet album a un autre bon goût : celui d’être une compilation. Beaucoup n’écoutaient que ces quelques pièces. Mais d’autres se laissaient séduire par les autres pièces, datant de 1963, mais ayant été endisquées entre 1963 et 1967. Un extrait accessible du Voyage pour terminer cette face A, quelques pièces «rock» provenant de La Reine Verte. Mais ce qui a touché les mélomanes, les audiophiles, les poètes et les gens ouverts d’esprit au plus haut point, c’est les Variations pour une Porte et un Soupir, pièce austère s’il en est une, dont le matériel de base est composé d’enregistrements de bruits de porte et d’un soupir électronique. Mon papa est un grand fanatique de musique contemporaine et cette pièce est une des dernières qui m’a accroché sur ce disque, du haut de mes douze ans. Mais quand j’ai compris. Ouf!

Et avec ce disque, je vous présente ma collection favorite!

Album : Le Voyage – D’après le Livre des Morts Tibétains
Artiste : Pierre Henry

En Test : 1967 Vinyle (1ère version)

Étiquette : Philips (Prospective 21º siēcle)
836 899 DSY

La collection métallique de Philips, la série Prospective 21e siècle, est la série à avoir! Cette collection de musique concrète, électroacoustique et électronique de Philips n’est pas du tout abordable, n’est pas du tout accessible et n’est absolument pas composée de pièces de grande écoute. Il s’agit de toute l’expérimentation du monde, allant des Percussions de Strasbourg à de la musique actuelle norvégienne, à du Xenakis, du François Bayle et bien entendu de plusieurs Henry. En fait, Philips a, durant ces années, offert ses presses afin d’exposer de la musique inexposable, le tout géré par Bayle et Henry. Un peu avant et un peu après, ils ont offert ces pièces dans des pochettes normales. Mais pour ces cinq années, on a eu droit à des pochettes métalliques incroyables, ainsi que des gravures hors du commun.

Pour des disques de musique expérimentale, dont la majeure partie se retrouvait dans des magasins à un dollar, c’est rendu quasi impossible de les acheter. On parle de prix allant d’un dollar à plusieurs centaines de dollars pour quelques-uns de ces monstres. Soit on passe à côté parce que la musique n’a aucun intérêt à un admirateur de pop, soit on tombe des nues et saute sur chacune des trouvailles, même si on les possède déjà!

Mais de quoi on parle ici? On parle de découverte musicale, parfois très rébarbative, parfois relativement expérimentale. La deuxième pièce, par exemple, est une étude sur un effet Larsen (les feedback de micros). On ne peut s’attendre à quelque chose de simple d’accès avec ce genre de musique. Les disques de cette collection nous suggèrent d’ailleurs de les écouter dans l’obscurité et à fort volume. Je dirais que les gens qui sont prêts à faire le saut dans un tel inconnu sont peu, mais seront heureux.

Album : Variations pour une porte et un soupir
Artiste : Pierre Henry

En Test : 1967 Vinyle (1ère édition, 3e version)

Étiquette : Philips (Prospective 21º siēcle)
836 898 DSY

Et ici, mon disque. Le mien. Celui qui a changé ma vie. Je vous en avais parlé plus haut. Il s’agit d’un disque qui plaît à mon côté audiophile, mélomane, artistique, mon côté expérimental, mon côté passionné de bandes magnétiques, c’est la totale! Et si vous désirez réellement savoir ce qu’était le flower power du temps, et à quel point l’expérimentation était la totale, l’introduction du disque a été écrite par Maurice Béjart lui-même, et oui, des danseurs contemporains ont dansé sur une telle œuvre!

Mais… c’est vraiment une porte et un soupir? Oui! Très peu d’instruments de plus! Il ne s’agit principalement que d’une porte grinçante, jouée comme d’un instrument, et du soupir électronique que je vous parais précédemment. Et la composition a été effectuée à l’aide de travail sur des bandes magnétiques. On peut d’ailleurs sur certaines bandes entendre du kissing, soit qu’avec tout le dynamisme de cette pièce, le magnétisme est si fort sur la bande qu’elle s’est imprimé un tour avant et un tour après le moment où on est supposée l’entendre! Rendu à ce point, ça fait partie de l’œuvre à mon avis. Il y a parfois quelques autres instruments, mais ils sont excessivement rares.

Je vous ai fait un retour dans le temps sur cet article. En fait, les Variations sont réellement la première pièce d’un cycle conceptuel, allant de pièces relativement joyeuses jusqu’aux râles et à la mort; Le Voyage débute avec la mort elle-même et un retour sur l’idéologie des Variations et poursuit en transe, en étude sur la mort, sur l’immobilisme de la mort physique, mais l’exploration infinie divine; finalement, La Messe nous les présente sommairement, mais célèbre la vie à travers une messe nous incitant à apprécier la vie pendant qu’elle passe. Il y a plusieurs autres rapprochements à faire dans l’imposante œuvre de Henry, dont ses Évangiles, œuvre imposante de jeunesse en une douzaine de disques, chantée et bien évidemment en musique concrète, voire de la non-musique religieuse, très en vogue et émule d’Olivier Messiaen. Et si j’avance dans le temps, il y a d’autres œuvres incroyables que je ne peux passer sous silence. La Messe de Liverpool, le Cortical Art (composé à l’aide d’un électroencéphalogramme!), son Voyage Initiatique ou même ses pièces plus récentes, parce que si, M. Henry a continué de composer jusqu’à sa mort! Mais vous comprendrez mon cheminement de rétrospective mortuaire en faisant un petit chemin de croix pour cet incroyable compositeur qui a révolutionné la musique. Ceci dit, je ne peux passer sous silence une dernière collaboration, une dernière messe de 1969.

Album : Ceremony – An Electronic Mass
Artistes : Spooky Tooth, Pierre Henry

V.O. : 1969 Vinyle (UK)

En Test : 1970 Vinyle (Canada)

Étiquette : Polydor
2334 002

Acheter la version CD chez Fréquences

Pour ce dernier disque, on va dans une messe rock progressif. Parfois, la musique nous frappe, mais parfois, c’est la pochette. Cette pochette frappe autant l’imaginaire que la musique nous donne une messe déjantée, retravaillée aux rubans, effets électroacoustiques et autres ajouts impressionnants de Henry. On parle de musique incroyable avec musiciens fous, mis presque en sourdine par les effets spéciaux qui nous donnent toute la perspective nécessaire à l’écoute de l’œuvre. Si vous désirez savoir ce que ça donne de prendre du LCD, écoutez Ceremony.

Et maintenant, parce que vous me lisez afin de savoir si les vinyles valent la peine…

Ouf, c’est tout un sujet, il n’y en aura pas de faciles! Commençons avec La Messe. C’est un album principalement populaire. Le médium du vinyle est bien utilisé sur ce disque. Beaucoup de qualité en règle générale, mais il sonne légèrement sourd, sonorité yé-yé presque nécessaire. Les extraits sont très bien enregistrés, mais très légèrement moins bien que les disques dont ils sont issus. C’est un très beau disque à avoir et il y a une raison pour laquelle il a été vendu en grande quantité, c’est qu’il est hautement satisfaisant. Si vous n’avez qu’à en avoir un, c’est celui-ci que vous devriez avoir. Le Voyage, c’est plus difficile. Le disque est parfaitement gravé, c’est impossible de demander mieux, mais c’est impossible à reproduire adéquatement aussi! Fréquences pures, instruments sans harmoniques, études sur les résonances outrancières, instruments à sonorité sourde exacerbée, le tout sur des faces vraiment remplies, dont une quantité de vinyle est laissée libre à la fin afin de conserver les hautes fréquences intactes. Sur ce genre de disque, on va entendre le popcorn et le bruit de fond, c’est immanquable. Les Variations, c’est mieux dans le sens que c’est un des meilleurs disques que je possède côté qualité, mon côté audiophile en reçoit pleinement pour son argent, mais aussi c’est un disque qui possède amplement son lot de difficultés. Y a-t-il quelque chose de plus difficile à reproduire que des graves et les aigus-chocs d’un grincement de porte? Si vous désirez faire perdre la boule à votre table tournante, c’est un parfait disque pour ça! Même les bandes magnétiques d’origine arrivent à leur limite, c’est dire à quel point l’œuvre est exigeante. Et finalement, Ceremony, c’est de la difficulté outrancière aussi. Jubilation, avec son milieu de pièce introspectif avec juste les bonnes fréquences afin de faire ressortir tout le popcorn de votre disque, et Confession avec ses coups de marteau, qui termine la première face dans un crescendo assourdissant en toute fin de disque, comment faire paniquer n’importe quelle aiguille! Reste que le disque, avec son progressive rock «monotone» tend à bien cacher les imperfections sur ce disque, on s’en sort quand même assez bien.

En résumé, les disques sont parfaitement bien réalisés. Mais le matériel est impossible à bien rendre! La seule chose que je puisse vous recommander c’est d’avoir les disques les plus propres que vous pouvez trouver, parce qu’il n’y en aura pas de facile!