HMV, DEP et l’industrie du disque québécois (Première partie)

Première partie d’un article sur la fermeture de ces géants et de l’industrie du disque. Petit changement de programme sur les concepts cinq minutes. Il faut bien réagir aux grosses nouvelles. Surtout, beaucoup de gens ont des questions et il y a beaucoup de désinformation. Beaucoup s’agitent les bras en l’air en criant à la fin de la musique au Québec.

[Cet article est écrit par Michel, qui n’est pas du tout dans l’industrie du disque mais n’est qu’un simple observateur. La suite proviendra dans les semaines qui suivent de la part de personnes de l’industrie, de communiqués et presse et un follow-up de la part de Jean-François, propriétaire de Fréquences.]

Si vous ne désirez pas lire l’article, en trois mots: Ne Paniquons Pas, ce n’est pas la fin du monde et voyons ce qui s’est réellement passé. Surtout, voyons s’il est possible de déterminer un futur avec ce que nous savons déjà.

HMV n’en est pas à ses premières manchettes. En 2011, la maison mère de HMV désire se départir des magasins HMV au Canada.

«Les affaires de HMV au Canada ont déjà été très rentables pour le groupe, mais il y a quelques années de cela. La triste réalité est que HMV ne fait plus aucun profit au Canada», a commenté Nick Bubb, analyste en commerce de détail chez Arden Partners à Londres. – Martin Vallières, Mars 2011 (Citation tirée de cet article de La Presse)

En 2012, le groupe britannique réussit à se départir de ses magasins du Canada, vendus à Hilco Capital (division Hilco Canada), une entreprise spécialisée en restructurations. En 2013, presque jour pour jour à la même date que nos magasins en 2017, ils ont jeté la serviette. Changement de marché, changement d’habitudes de consommation. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles ces fermetures arrivent dans les mois de Février et Mars, dont la fin de l’année fiscale, mais c’est surtout à cause de l’arrivée des bilans de vente de la période des fêtes, véritable manne mais aussi le couteau à double tranchant du ça passe ou ça casseDans le cas du groupe HMV du Royaume-Uni, ça a cassé en 2013. Après plusieurs mois en liquidation et après s’être départis de quelques divisions dont celle de l’Irlande et de Hong Kong, ce qui reste de HMV se fait acheter par Hilco Capital (encore eux), qui va restructurer l’entreprise et lui apporter des jours bien prospères.

Regaining its high-street crown would be a remarkable achievement for HMV, which went bust just 18 months ago, felled by the toxic combination of declining physical music sales, expensive shop rents and huge debts. – Zoe Wood, Septembre 2014 (Citation tirée de cet article de The Guardian)

C’est un peu ce problème des magasins brick-and-mortar [de l’économie traditionnelle], il faut obtenir beaucoup de produits en inventaire, il faut suffire à la demande, il faut pallier aux vols, incendies et inondations. En plus, on reste parfois pris avec notre surplus. C’est sans compter les dépenses d’employés, le loyer exubérant requis afin d’avoir un local dans un endroit convoité et achalandé, etc. Et même en 2014, on parlait déjà de la descente aux enfers des ventes de disques, de films, etc. Ça tombe bien mal: HMV est aux premières loges de tout ce qui est en perte de vitesse niveau ventes. C’est ironique de voir une industrie aussi menée à mal pendant que les gens consomment de plus en plus de musique, de films et de séries télévisées.

Et ça, c’est sans compter les changements liés à la gratification instantanée qu’Apple a bien compris au début de cette ère: les gens désirent obtenir tout, tout de suite et ici.

On n’a aussi qu’à penser à un Amazon, plaie d’Egypte des grands magasins à rayon. À l’aide d’un seul clic (breveté!), on peut se faire livrer dans le confort de sa maison ce qu’on désire, parfois sans même avoir à payer la livraison. Le tout sans avoir à se déplacer. Si on sait exactement ce qu’on désire acheter, on peut donc l’obtenir en quelques jours à peu de frais. Même si on le le sait pas, on peut rechercher à trois heures du matin sur leur site et trouver la perle rare tant convoitée qu’on ne savait même pas qu’on convoitait. C’est quand même difficile à battre.

Et si on pousse encore plus loin, toutes les grandes chaînes deviennent de plus en plus similaires. Les Wal Mart font compétition aux Renaud Bray qui font compétition aux Costco qui font compétition aux Best Buy qui font compétition aux Archambault qui font compétition aux HMV. Tout le monde vend des films (qui se vendent moins, faute de la lecture en continu [streaming]). Tout le monde vend des jeux vidéos. Tout le monde vend des livres. Tout le monde vend de la musique (presque – Best Buy n’en vend habituellement pas!). Dans ce monde de Dog Eats Dog, l’aspect différentiateur de ces mégacentres revient à la quantité de produits sous le même toit (un seul arrêt pour tout) et le prix le plus bas. On ne parle plus de spécialistes, de passion et de connaissance. On ne parle même plus des produits locaux, seulement des plus gros vendeurs et d’optimisation de l’espace des tablettes.

Remarquez que ce n’est pas mauvais en tant que tel, il faut se rappeler que toute entreprise est là afin de faire des sous. Toute entreprise espère avoir quelques dollars de libre à la fin du mois, ne pas être dans le rouge, de pouvoir payer ses employés, de réaliser un petit profit, de s’assurer d’avoir un coussin assez confortable pour passer les mois de disette, les années pluvieuses, se permettre d’avoir engrangé assez d’argent pour supporter les caprices des acheteurs et de changer de cap sans tout détruire sur son passage. Et loin de mon idée de dire qu’aucun spécialiste ne se trouvait chez HMV, j’ai connu beaucoup de passionnés de musique qui y travaillaient et qui ont (parfois) adoré leur travail. Mais ce n’était plus l’argument différentiateur.

Les disquaires indépendants versus les grandes chaînes

De retour sur le sujet, il y a beaucoup de choses qui permettent de se différencier en tant qu’entreprise. Marché de niche, marché local, connaître ses clients, fournir un service personnalisé, s’assurer de la fidélité des clients. Aussi, de connaître parfaitement son produit et être passionné soi-même. Finalement, d’essayer des choses, de ne pas être assis sur ses lauriers (ou simplement sur son steak s’il n’y a pas de lauriers).

Il y a aussi de fournir des services supplémentaires. Par exemple, la chaîne Apple Store a eu des spectacles dans ses magasins. La deuxième mouture des HMV au Royaume-Uni ont fait la même chose avec des tournées de spectacles et de signatures d’autographes de grands artistes. Même quand on est hors-centre on peut user de tels moyens. Par exemple avec Fréquences qui, lors de certains événements tel que le Record Store Day, va aller chercher des artistes connus (ou non) afin de réaliser des petits spectacles dans le magasin, des séances d’autographes, avoir des disques en primeur. Ou (en pub copinage) lors de l’ouverture de La Table Tournante à Terrebonne, le propriétaire a proposé un spectacle des Deuxluxes, démontrant bien sa connexion et son intérêt de tenir des artistes locaux.

Et dans le cas des disquaires indépendants, il y a toute la saveur locale, les produits locaux. C’est normal pour un disquaire de St-Hyacinthe de tenir des disques produits dans la région. C’est aussi normal de s’affilier avec des centres artistiques tels que les salles de spectacles et festivals locaux et de tenir la musique qui joue dans la région. Bien entendu, la normalité est quelque chose de hautement subjectif, chaque petite opération exige temps, argent, volonté, détermination, perdre quelques heures de sommeil, du réseautage, d’avoir et tenir un kiosque, d’aller chercher les disques à vendre, de faire la promotion. Tout ce qui est vibrant dans une scène veut dire qu’une personne trop motivée pour la vie est là pour réaliser cette belle vibration, rien ne se fait seul hélas. En exemple analogue, ces articles prennent des heures à écrire, des heures d’écoute, de l’argent pour les disques, de la recherche, ils ne se font pas en criant ciseaux. En autre exemple, de tenir le fort sur des disques usagés, c’est plusieurs minutes de travail par disque. Tous ces extras sont ce qui différentient le petit marchant local de la grande chaîne qui se doit de respecter les standards de sa bannière. C’est un investissement majeur de temps, d’argent, des essais parfois infructueux, des frustrations et l’horreur d’avoir à s’occuper de toute la machine administrative seul versus d’avoir de multiples administrateurs. C’est de devoir tout faire soi-même avec une équipe réduite.

Ce n’est juste pas le même monde, le disquaire indépendant est là pour rester et s’il subit de la pression négative de la part d’un grand centre d’achats qui peut vendre à perte certains produits, il subit aussi la pression positive d’avoir un écosystème florissant et des gens passionnés qui se tournent vers lui afin d’obtenir le service que l’acheteur averti recherche. Le distributeur peut aussi profiter de ses grandes surfaces afin de simplifier ses opérations, tout en ayant des projets spéciaux pour les petits magasins, de tâter le terrain en essayant à moins grande échelle. Les magasins bénéficient donc mutuellement de cet écosystème. Chaque maillon disparaissant est une perte pour toute l’industrie.

… Et justement

 

Célébrant son 20e anniversaire l’an passé, DEP Distribution a annoncé qu’il pliait bagage. C’est un de nos piliers du monde de l’audiovisuel qui disparaît avec HMV et l’effondrement de la vente au Québec. Ce qu’il faut savoir sur n’importe quelle industrie faisant affaire dans des magasins traditionnels, c’est que la très grosse majeure partie des ventes se font par l’entremise de sites de distribution.

Par exemple, lorsque vous achetez des fleurs chez un fleuriste, fort est à parier que les fleurs proviennent tout d’abord d’un grossiste. Ce dernier s’occupe d’importer des fleurs à travers le monde, de récupérer des produits locaux et accessoires et les propose aux fleuristes. Il ne faut pas penser que les producteurs de tulipes de Hollande font affaire individuellement avec chaque petit fleuriste de coin de rue et font noliser des cargos spéciaux à température contrôlée, envoi express, pour douze tulipes par semaine. Bien sur que les fleuristes ont plusieurs grossistes, quelques producteurs, quelques contacts privilégiés, ça fait partie du lot et c’est ce qui les différencie des autres. Mais la majeure partie du matériel provient des grossistes.

C’est exactement la même chose pour les disquaires. En plus des contacts privilégiés avec certains artistes, les disques en consigne et les autres cas d’exception, la majeure partie des disques proviennent d’entreprises s’occupant de la distribution à travers une région donnée. Dans les exemples, il y avait bien entendu DEP et il nous reste Distribution Sélect dans ce qui se fait de gros et les plus petits incluent entre autres F.A.B. à Saint-Lambert. Au Canada, il y en a plusieurs, dont Fontana North par exemple. Aux États-Unis, on peut aussi compter sur Light In The Attic pour les trucs louches, des très petits sites de distribution comme Think Indie (avec des trucs encore plus louches) et il y en a d’autres qui proposent des trucs encore beaucoup plus louches et bizarres mais regroupés ensemble (je vous donne un exemple, vous en connaissez beaucoup des gros centres de distribution qui s’occuperaient des disques de l’étiquette Suisse indépendante We Release Whatever The F*** We Want Records vous?). Beaucoup d’avantages à se regrouper pour tout le monde (douanes, frais de transport réduits, etc). Et ici je ne parle pas des monstres de la distribution comme Sony Music Entertainment.

Avec près de 100 étiquettes [labels] en distribution dont Universal Music à l’extérieur, Dare To Care Records et La Tribu de façon locale, DEP fournissait beaucoup de matériel avec passion. C’est donc un gros coup pour toute l’industrie.

La façon que ça fonctionne, hélas, est que lorsque HMV a annoncé sa fermeture, toutes ses dettes se sont retrouvées dans le même lot. Le pauvre petit distributeur qui avait fourni des disques pour la vente ne recevra probablement pas un sou vu qu’il est créancier minoritaire, et ce, malgré la vente de feu dans tous les HMV de son propre matériel. Tous les disques vendus durant cette période iront aux créanciers. Ensuite, fort de cette situation déplorable, DEP a annoncé sa fermeture… donc fort probablement que les petites étiquettes ne vont pas recevoir un sou. Et comme certaines étiquettes risquent de fermer aussi, on peut s’attendre à ce que les artistes ne reçoivent rien ou pire, se retrouvent sur la paille. Ça, c’est le scénario apocalyptique auquel on fait face.

La nature déteste le vide

Maintenant … j’ai une question pour vous. Qu’avez-vous fait lorsque vous avez appris que HMV fermait et qu’ils faisaient une vente de feu? J’espère que vous en avez profité un peu quand même! Ça fait partie de la règle de cette planète: le malheur des uns fait le bonheur des autres. Lorsqu’une entreprise ferme en quelque part, il y a toujours quelqu’un qui est prêt à l’acheter. Ça fait aussi partie du lot qu’ils vont se débarrasser des éléments toxiques, alors ce ne sont pas tous les acquis qui vont se retrouver achetés. Mais la partie de plaisir est d’attendre un peu, de faire tomber ce qu’il y a à tomber et ensuite d’acheter quelques pièces. Le fait qu’un nouveau venu de la vente de musique en détail, Sunrise Records, se soit intéressé à 70 emplacements de points de vente quelques semaines après l’annonce de la fermeture n’est pas étranger à ce fait. Ils ont même offert d’embaucher les anciens employés (la moitié – pas parfait mais pas trop mal).

Si on extrapole avec DEP, on peut penser aux différentes étiquettes qui ne désireront absolument pas basculer dans le néant. Comme je disais, ça m’étonnerait fort que Universal Music Group décide de plier bagage aux Québec; ça m’étonnerait que La Tribu, que Dare to Care Records arrêtent leurs activités; ça m’étonnerait qu’Unidisc décide de conserver un partenariat avec une entreprise défunte; même les plus petits, ça m’étonnerait que les Productions Champs de Bacon (Marie-Jo Thério) arrêtent de faire de la musique juste parce que DEP ferme. Si on va plus loin, croyez-vous réellement qu’Éric Lapointe va arrêter de faire des spectacles avec la fermeture de DEP? Les artistes de toutes ces étiquettes et boîtes de production vont désirer continuer à faire de la musique!

De façon réaliste, la majeure partie des étiquettes vont former des nouveaux partenariats, des artistes vont se déplacer d’un endroit à l’autre, certains éléments vont hélas passer dans les mailles du filet mais la majeure partie des entreprises vont se placer. Je ne serais pas surpris de voir un consortium ou deux apparaître afin de prendre la place de DEP. Je serais encore moins surpris qu’une entreprise connexe (par exemple en communication et en promotion d’artistes) fasse main-mise sur quelques atouts de ce groupe. Tout ça pour dire que ce n’est pas une tragédie où tous meurent au troisième acte de l’opéra. Ça reste triste, DEP était un groupe fort respecté de l’industrie, ils ont donné avec passion depuis 20 ans et n’ont pu profiter du fruit de leur dur labeur. Mais je suis certain que leur pérennité sera assurée.

D’ailleurs, est-ce la fin que de ne pas être produit? On a la réponse datant des années 1970 grâce au livre Québec Western : ville après ville (Blondin, J.; Falkenberg, M. M. et Lebeau-Taschereau M.H. (2013). Montréal: Éditions Les Malins. Pp. 56-57)

Au départ, c’est le snobisme d’une certaine élite qui constitue le principal talon d’Achille du country, car le genre est rentable. […] Mais, comme le relate Robert Thérien, « […] Quand [Yvan Dufresne, le nouveau directeur de la section française des Disques London] met les artistes country à la porte, ceux-ci ont deux choix : se prendre en main ou disparaître. »

[…]

Paul Daraîche confirme: « Le monde country a toujours fait ça, s’autoproduire, s’autofabriquer. »

Les artistes vont demeurer, ils vont s’organiser, ils vont continuer à se faire entendre, ils vont continuer à produire des disques.

Je comprends les gens de crier au recul de l’industrie du disque mais il faut voir  les innombrables changements dans cette industrie. On a qu’à penser au streaming, la musique continue sur Internet. Mais on doit aussi penser à tous ces changements qui ne se sont pas fait sans heurts: de l’analogique au numérique des années 80; l’essor et le déclin des cassettes, les styles musicaux qui évoluent constamment.

Le 21e siècle

Et justement ces années sont pleines de rebondissements. Le déclin du CD, le retour du vinyle, l’obtention de la musique en continu sur Internet. Les artistes s’adaptent à ces réalités changeantes, ces nouvelles opportunités. Mais de crier à la fin des magasins? Pourquoi on aurait droit à des Sunrise à la place des HMV dans ce cas?

La vente des disques compacts a dégringolé de 19 pour cent à 12,3 millions d’unités en 2016, selon les données de Nielsen. Par ailleurs, dopés par Apple Music et Spotify, les services de diffusion de musique en ligne ont cru de façon exponentielle, connaissant une croissance de 203 pour cent pour atteindre 22 milliards d’écoutes.

M. Putman ne croit pas que les signaux numériques entraîneront nécessairement la fin des formats physiques.

«Plusieurs jeunes consommateurs aiment encore posséder quelque chose de réel», a-t-il souligné. – David Friend, la Presse Canadienne (Citation tirée de cet article de La Presse)

Et pour ce réel, il faut se rendre en magasin? Ah non, on peut aussi acheter en ligne chez Fréquences justement. Et on peut acheter sur notre Discogs aussi. Mais comment découvrir des nouveautés? Comment parler avec des passionnés de musique? C’est une des raisons pour lesquelles Fréquences a tenu à créer un blogue musical. Faire découvrir des nouvelles choses, faire découvrir ce qui se trame ici, au Québec, au Canada, ailleurs, faire redécouvrir. Discuter de concepts. Servir un peu de passerelle entre le virtuel et le réel.

Bonne écoute à tous et à toutes. Et on a tous hâte de voir la suite des changements à notre industrie. On va souhaiter que ces derniers ne fassent pas trop mal, que les employés se replacent, que les artistes aient de la visibilité. À suivre…