Suite du concept cinq minutes de la semaine passée sur les termes et ce qui influe sur la qualité d’un vinyle. Je débute avec la nouvelle choc suivante: aucune colle n’est utilisée pour coller l’étiquette centrale d’un disque, c’est uniquement la pression sur le vinyle fondu qui la fait tenir en place! [Gros sourire] … non? Bon ok, j’avoue que c’était inutile comme commentaire. Alors ce deuxième article remonte d’une étape dans le temps et va passer à travers les techniques d’impression et de gravure.
En guise de préliminaires, une histoire vécue. Mon grand-père faisait partie d’un chœur d’enfants dans sa jeunesse. Un jour, ils se sont fait enregistrer (des 78 tours). Pour cet enregistrement, le technicien à l’enregistrement s’est rendu à leur église avec un graveur de disques de cire. Entre la 1ère et la 2e guerre mondiale, les disques utilisés pour la gravure étaient en cire, matériel ayant l’avantage d’être malléable à la température pièce et de pouvoir être facilement gravé. Hélas, mon grand-père n’aura finalement jamais son disque, le technicien a laissé ses sacs à côté d’une trappe à air chaud et les disques ont fondu.
Avoir eu les disques en parfait état, les techniciens les auraient d’abord enduits de graphite avant de les descendre dans un bain de solution contenant du nickel, qui par électroformage [NDLA oui je cherche les termes français, vive l’OQLF] va se déposer sur le graphite et faire un négatif de chaque très fragile disque de cire. Une fois séparés de la cire qui est détruite dans le processus (on a une seule chance!), on a droit à un négatif du disque, très résistant. Ce dernier était ensuite placé comme moule et utilisé pour imprimer la gomme-laque (shellac). Pour les plus grandes quantités, tel que les Caruso de ce monde, à la place d’imprimer directement le produit final, un disque-mère sera créé par le même procédé d’électroformage avant de créer multiples disques de moulages qui pourront imprimer des milliers de disques chacun. D’ailleurs, une méthode un peu plus moderne (1942) avec des techniques de pointe dans des studios spécialisés est expliquée dans ce superbe film documentaire d’archive.
Et aujourd’hui?
La première étape est de la préparation par les producteurs. Déterminer combien de disques seront gravés, quelle technique sera utilisée, le niveau de volume recherché, les séparations des pistes, sources analogiques ou numériques, est-ce qu’il y aura un disque-épreuve, combien de moules seront produits, le poids des disques, et surtout si une technique spéciale sera utilisée pour la gravure.
En suivant le devis, l’ingénieur en matriçage fournit, avec un sourire béat de joie du travail bien accompli, un matériel source à imprimer sur des disques, que ce soit une bande magnétique par face ou un fichier digital par face. Il y inclut des informations sur les durées de chaque piste ainsi que quelques données afin d’aider le technicien à la gravure à faire un bon travail.
Ensuite, pour les disques destinés aux DJ (le plus facile), le technicien en gravure [lathe engineer, ingénieur au tour? OQLF, tu me laisses tomber] va prendre le fichier de la chanson, lui appliquer le filtre d’égalisation RIAA (merci, RIAA, d’avoir standardisé l’égalisation des disques qui les a rendus jouables), préparer l’appareil de gravure et utiliser les informations fournies afin de calibrer la machine sur le volume maximal, avec un espacement constant et va sélectionner la vitesse du disque. Après avoir calibré l’acétate à graver, il va faire jouer le média source dans l’entrée sonore du graveur, qui va reproduire les fréquences sur l’acétate. Ces disques en «acétate» (ce n’est pas un gros pourcentage d’acétate, tout comme la gomme-laque n’est qu’en minorité dans le produit fini, ou le vinyle n’est pas vraiment du vinyle – tous ces termes ne sont utilisés qu’à cause que du premier produit à l’origine était pur, mais ensuite seulement le nom commun a subsisté!) sont plus fragiles que les disques du marché mais sont fort similaires. Si on veut, on peut aussi faire des disques-épreuves (test press en acétate, ou dub plates plus solides [ceci est le moment où l’OQLF a perdu mon respect]) directement avec la machine de gravure. Et ensuite, croyez-le où non, c’est exactement la même méthode que la vidéo de 1942!
En prime, on a une panoplie de choix.
- la vitesse de gravure (le plus simple).
- 16 2/3 tours/minute: pour la voix et entrevues seulement. Les écoles utilisaient cela pour des tests standardisés;
- 33 1/3 tours/minute: volume moins fort, plus de durée de gravure (12 à 24 minutes de bonne qualité) et plus d’aigus;
- 45 tours/minute: volume plus fort, moins de durée de gravure (6 à 15 minutes de bonne qualité) et moins d’aigus;
- 78,26 tours/minute (ceci est approximatif, les disques sont gravés entre 70 et 90RPM): ancien format de prédilection pour les disques en gomme-laque. Maximum 8 minutes.
- Gravure Directe sur Métal (DMM, Direct Metal Mastering).À la place de graver une acétate, on utilise une pointe de gravure très solide qui peut graver du cuivre! Le disque final est très solide et après une petite couche de nickel, peut servir à imprimer le disque-mère directement. Deux étapes de moins (électroformage du disque père et impression du disque mère), donc plus de qualité. En plus, la gravure sur acétate traditionnelle nécessite une pointe chauffante et celle-ci déforme temporairement le disque aux alentours, ce qui cause des pré et post-échos si trop rapprochés. Mais la contrepartie au DMM est un son légèrement plus strident et agressant pour les oreilles à cause de la difficulté de graver le cuivre (squeal ou grincement). Certains adorent, d’autres moins. Mon avis? Comme toujours, tout repose sur l’intérêt du technicien à la gravure. Et le grincement va être «limé» par votre aiguille lors des premières écoutes.
- Gravure à demi-vitesse. Vous avez compris que de graver n’est pas une mince tâche. Ça demande du chauffage, des moteurs puissants fournissant des mouvements microscopiques, des pointes solides et acérées, les disques sont déformés. Pourquoi ne pas graver deux fois plus lentement, faire jouer le média plus lentement et laisser une chance à tout ce beau matériel de respirer? L’idée est géniale et le seul désavantage est de devoir travailler excessivement fort en amont pour créer des appareils spécialisés afin de conserver la polarisation (bias) du matériel analogique ajusté sur les fréquences médianes, sinon on va avoir un disque avec beaucoup trop de basse et des aigus stridents.
- Direct-to-disc.
Lors de l’enregistrement des 78 tours, c’était pas mal exclusivement des direct-to-disc. Après, avec des faces de 20 minutes, on s’imagine mal réaliser un disque studio complexe d’un seul coup sans se tromper. Vive les bandes magnétiques (et depuis 20 ans le numérique). Par contre, ces techniques exigent un intermédiaire. Le d2d enlève tout intermédiaire: l’ingénieur de son envoie via un cable le produit final directement à l’ingénieur de gravure, qui s’assure que le disque soit bien gravé. L’étiquette Sheffield Lab est connu pour avoir donné ses lettres de noblesse à cette technique. Plus récemment, Third Man Records a ressorti cette technique afin d’enregistrer des spectacles; leur qualité est exceptionnelle!
- Gravure à espacement / profondeur variable.
La façon simple de graver est de mettre une vis sans fin et de faire avancer l’aiguille de gravure de façon constante. On ajuste le volume maximal et on grave le disque. Simple. Mais la durée par face est fortement limitée et beaucoup de vinyle est perdu entre les pistes. Imaginons un disque de 25 minutes fortement dynamique, ça y est, adieu la qualité! Imaginons qu’on puisse réduire l’espacement lors des passages doux, et l’augmenter de nouveau lors des passages forts! Pour ça, des appareils a bandes magnétiques à deux têtes séparées d’une seconde ont été créées, et plus récemment, des logiciels permettant d’optimiser exactement ce qui va être gravé ont étés produits.
- Disques mono. Le petit dernier de cet article est un retour aux sources. Les disques en mono n’ont qu’à se soucier d’une seule chose: aller de gauche à droite. Les disques en stéréo, c’est une tout autre chose: ça doit monter et descendre à 45 degrés pour le signal gauche, et -45 degrés pour le signal droit. Ayoye! Imaginez la suspension d’une voiture où la gauche et droite sont totalement indépendants. L’idée du retour au mono est de laisser une chance au disque et de simplifier à sa plus simple expression la complexité de tout ce système.
En d’autres mots, il y a beaucoup d’excellentes technologies et plusieurs façons d’arriver à un bon résultat. Parfois, c’est à la simplicité même, par exemple d’avoir un disque enregistré le plus fort possible avec un face de moins de 12 minutes, pour DJ. Parfois, c’est en utilisant des techniques complexes. Parfois, c’est en ayant des fous se donnant la peine de désirer produire la meilleure version possible. Ce qui est certain, et encore une fois la raison pour laquelle j’ai accepté de réaliser des critiques sur les sorties vinyles pour Fréquences, c’est que l’important, c’est de savoir si le but n’est que de faire de l’argent ou bien s’il y a de la réelle passion, un travail d’artiste en arrière le vinyle. Et je vous promet d’être le plus honnête possible dans mes critiques.
Ouf! Bon ok, mettons 8 minutes cet article! Et la semaine prochaine, pour le prochain et dernier article de la série sur la gravure des disques, on va passer le balai sur tout ce qui n’a marché qu’un temps, et les autres bidules et trucs marketing louches qu’on retrouve sur les disques.