Hallucinant!!
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Là où la majorité des autres harpistes se prêtent à un jeu occasionnel et médiumnique, ou se limite à des filières et des circuits liturgiques, Papé Nziengui s’affirme comme un artiste à part entière, imposant la modernité de la musique de harpe, non pas comme une simple expression folklorique et désuète mais comme un moment toujours présent, en phase avec les interrogations de chaque époque. Que lui importe-t-il donc d’« être initié » ? Ne serait-il pas, dès avant sa naissance, le fruit d’une initiation infuse, rendant inutile ou superflue sinon redondante toute autre démarche sacramentelle ?
Un génie précoce, un maitre avant l’âge.
Nziengui nait vers 1958 dans les environs de Mouila (Sud Gabon) de parents Tsogho, peuple reconnu pour être un des le dépositaires de la voix initiatique du Bwiti. A peine sorti de l’enfance, sa virtuosité précoce en fait le Béti, ou joueur de harpe attitré du village et des environs. Incité à l’exode par son frère ainé, il arrive à Libreville la capitale, avec une harpe miniature dans son léger bagage. Il écume bientôt les « Bandjas » (temples bwitistes) des quartiers populaires appelés Matitis, au point de taper dans l’œil d’un producteur d’une émission télévisée promotrice de jeunes talents : Les jeunes sont formidables. Les évènements s’accélèrent alors : le succès est tel que Nziengui convainc Daniel Odimbossoukou, le Directeur du Théâtre National, de le recruter comme harpiste. Il parcourt ainsi le monde entier de Lagos à Paris, de Tokyo à Cordoba, de Bruxelles à Mexico au point de devenir une véritable icône, l’Emblème de la musique gabonaise.
Papé, un guide inspiré, un compagnon de toujours ?
A l’instar de Bob Dylan, « électrifiant » la country et de Bob Marley mêlant le rock avec le reggae, certains puristes ont reproché à Nziengui d’avoir dénaturé la musique de harpe en lui imposant un croisement avec les instruments modernes. Ils sont même allés jusqu’à prétendre que Nziengui n’était qu’un harpiste moyen couvrant ses lacunes par des esbroufes qui n’étaient bonnes qu’à épater les néophytes ; comme de jouer en aveugle d’une harpe posée à l’envers sur son dos ou de jouer de deux à trois harpes simultanément. Convictions sincères ou diffamations venimeuses, en tous les cas, Nziengui n’a jamais cédé à de telles attaques, s’imposant au contraire de rendre hommage aux ainés (Yves Mouenga, Jean Honoré Miabé, Vickoss Ekondo) tout en instruisant le maximum de jeunes. Il est ainsi le promoteur de nombreux jeunes talents dont le plus en vue est certainement son neveu Jean Pierre Mingongué.
D’autre part, la production musicale moderne, étant dominée par la logique du profit voire du mercantilisme, la création artistique doit souvent être ajustée au gout d’une clientèle de raison plutôt que de cœur. Mais au lieu de se laisser dénaturer, Papé Nziengui s’est toujours efforcé de produire une musique qui ne soit pas de caricature, digne dans son expression comme dans son contenu, de la sacralité et de la transcendance de la musique des Origines. C’est ce qui fait de Nziengui non pas seulement ce musicien, mais cet homme sur lequel les années comme les évènements passent sans rien altérer de sa fraicheur et de son authenticité. Portant sur sa poitrine la harpe, le manche levé comme indiquant la voie, cette voie de civilisation qui sommeille en tout fait de culture, Nziengui avance avec la certitude du pionnier conscient que de nombreux autres harpistes, émules ou épigones, concurrents ou rivaux, lui emboiteront le pas. Alors s’accomplit sous nos yeux le miracle de cette forêt, qui poussait en silence, dont il n’était finalement pas le voile mais dont sa musique secrétait les racines des arbres à venir.
Format | LP |
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Artiste | Nziengui, Papé |
Genre | Monde - Afrique |
Date de sortie | 2022-04-08 |
Étiquette | AWESOME TAPES FROM AFRICA |