2016 – Roberto Musci: Tower of Silence

Enregistrements de terrain, version ambiante

Artiste: Roberto Musci
Album: Tower of Silence

En Test: 2016 Vinyle double en encart

Étiquette: Music From Memory; MFM014

Acheter le disque vinyle double chez Fréquences

Le monde de la musique d’enregistrement de terrain (field recording) est assez spécial. Technique résolument moderne, les pionniers sont les passionnés de traitement sur bande magnétique des années 1960, on pense au BBC Radiophonic Workshop – dont l’excellente Delia Derbyshire qui a composée le thème de Dr Who. On peut même reculer plus loin avec, dans les années 50, la composition musicale avec traitement sur film; on pense à l’ONF avec l’extraordinaire Norman McLaren qui fait figure de précurseur du genre. On peut reculer encore avec les tous débuts, peu après l’arrivée de la bande magnétique avec son invention allemande, le style provenant d’explorations sur la musique concrète trouvent leur initiateur avec Pierre Schaeffer en France peu après la Seconde Guerre mondiale. Depuis, le style a été surtout perçu comme étant rébarbatif et cérébral, et ce n’est pas les incroyables Variations pour une Porte et un Soupir de Pierre Henry qui vont changer cette vision (c’est une de mes pièces préférées). Les quelques rares percées commerciales se faisant lors de l’époque du Peace and Love, avec des essais musicaux, dont la fameuse Messe pour le Temps présent de Pierre Henry et Michel Colombier, utilisée récemment pour le thème de l’émission Futurama. Plus près de nous, il y a René Lussier qui composa en 1989 son chef-d’œuvre Le Trésor de la Langue, film auditif dans lequel on suit les protagonistes cherchant s’il est important de parler le français au Québec. La démocratisation de ce style musical s’est faite avec l’arrivée des synthétiseurs Fairlight CMI, permettant de faire jouer des échantillons musicaux de tous genres. Des groupes comme The Art of Noise et Yello en ont fait leur gagne-pain. Aujourd’hui, on se demande bien ce qu’il peut y avoir de difficile à prendre son téléphone portable, enregistrer quelque chose dehors, revenir chez soi, ouvrir Garage Band, ajouter quelques filtres et superposer le tout avec quelques instruments. C’est ici qu’arrive tout le génie exploratoire: on peut penser à l’album de musique de danse Supermodified d’Amon Tobin, composé à l’aide d’échantillonnages musicaux traités au point de ne plus en reconnaître l’origine, mais qui demeure avec un aspect commercial certain. On peut aussi penser, récemment, à Automatisme qui compose avec en base des échantillons de la vie urbaine de tous les jours captés sur le vif, traités au point où ils sont intégrés entièrement à la musique.

Mais si on revient à de la musique où l’on reconnaît parfaitement les échantillons, arrive Roberto Musci, compositeur milanais ayant une affection pour la sonorité de l’Afrique et de l’Asie, plus particulièrement l’Inde. Le compositeur a voyagé à travers ces continents durant une dizaine d’années dans les années 70 et 80, et a utilisé ses acquis afin de composer ainsi que de produire des émissions radiophoniques de musique expérimentale et indigène jusqu’à la fin des années 90. Depuis 1983, le musicien a aussi enregistré plusieurs albums forts de ces sonorités uniques. C’est une compilation de ces explorations musicales qui nous est offerte ici sur disque vinyle. Le disque offre en quinconce des pièces de 1983 jusqu’à 2015, le tout, avec une belle progression musicale. Le style est introspectif, ambiant, exploratoire, doux tout en restant présent, électronique sans nécessairement le faire paraître aux premiers abords.

Pour la qualité de l’enregistrement, le disque vinyle double est très bien enregistré, la qualité du disque est apparente dès les premiers instants (même s’il y a des commentaires Internet au sujet d’un manque de rigueur lors de la gravure) et la sonorité est superbe. Là où il manque quelque chose, toutefois, c’est que le disque est très précisément monocorde côté volume. Ça sent la limitation numérique à plein nez et il n’y a tellement pas de surprises que ça en devienne maladif. À haut volume, on entend le compresseur se faire aller sur chaque petite note. Évidemment, on ne peut pas non plus s’attendre à avoir une sonorité audiophile sur des enregistrements faits avec un enregistreur portatif dans les années 70, mais ce n’est que rarement un problème, la «pire» des pièces à ce niveau est probablement la toute première de l’album. Non, le problème est que l’album est beaucoup trop limité. Pour le reste, ça s’écoute comme un bon vin: lentement, solennellement, avec déférence, et avec la petite pointe de curiosité que peut nous procurer un album-compilation d’un artiste absolument unique.