Concept cinq minutes: David vs. Goliath

Aujourd’hui, on divague (vague!) et on ne parle pas de musique. On parle des grosses entreprises versus les petites entreprises. Sujet généraliste avec une tournure sur le monde de la musique.

Certains disent que les grandes entreprises, c’est le mal. Être pris «dans la machine», ne plus avoir contrôle de son propre produit, n’avoir que des royautés, de devoir produire des succès ne nous représentant pas. La réponse est Oui. Certains disent que de se retrouver en vente dans des grandes chaînes veut dire de n’être qu’un numéro, ne pas être mis sur la sellette, ne pas avoir de contrôle sur les prix de vente, ne pas recevoir d’argent pour les ventes, de devoir fournir un gros inventaire et ensuite être pris avec parce que la chaîne a décidée de vous laisser dans des boîtes du backstore. La réponse est encore oui. Être de la chair à saucisse pressée à haute vitesse dans des appareils afin d’être vendu avec les autres saucisses en paquet de douze, toutes identiques avec le gros logo d’entreprise au-dessus de l’étal. Oui, oui, encore oui.

Et pourtant, cet envers de la médaille cache une réalité toute autre. Et ceci est bon pour toute comparaison entre petite et grande entreprise. Ce ne sont pas tous les artistes qui ont le talent sur tous les aspects de l’entrepreneuriat, la vision, l’intérêt, le financement, les contacts, le temps de s’autoproduire, s’autogérer, vendre ses produits, être auteur-compositeur-interprète, de jouer de tous les instruments requis avec la meilleure qualité possible… sans compter d’avoir la chance. Parce que oui, la majeure partie de ce qui fait qu’un artiste fonctionne ou non, c’est la chance. Lorsque j’avais ma première entreprise (services informatiques), j’ai compris que j’avais à choisir 2 actions dans les suivantes: trouver des nouveaux contrats; réaliser les contrats; faire le suivi, se faire payer et l’administration. Mais impossible de faire les trois et de garder un semblant de vie et de santé mentale. Et quand j’ai six de mes amis qui m’ont dit oui oui, on a plein de gens qui sont intéressés par tes services et qu’aucun d’entre eux ne m’ont contacté après mon enregistrement d’entreprise, j’ai compris la part de la chance aussi.

C’est là tout l’intérêt de la grosse entreprise: un projet sera pris au mérite, le soin nécessaire sera appliqué à la réalisation (sans trop ni pas assez), les trous béants des carence de l’artiste seront comblés par des experts.

Parce qu’on ne peut pas être bon dans tout. On n’a qu’à penser aux musiciens de studio. Rares sont les bums de studio qui réussissent une carrière avec leur propre nom sur la pochette d’un album: autant ils sont exceptionnels afin de jouer, bonifier une pièce, lui donner tout le soin et le prestige nécessaire, autant leurs talents ne sont pas dans la composition, d’être présentable, d’avoir l’ambition de leur propre produit. Et c’est tant mieux comme ça! Lorsqu’on les rencontre, on leur joue notre pièce, on donne notre partition le cas échéant. Non seulement ils vont jouer notre pièce mieux que nous en cinq petites minutes, ils vont y ajouter une tonalité, des tessitures appropriées, mais ils vont aussi avoir les instruments et le matériel nécessaire afin de donner la meilleure des chances à notre pièce.

Même chose pour tous les aspects de la production du disque. Studio? Professionnel. Enregistrement? Professionnel. Prise de son? Par un pro qui ne fait que ça. Pochette? Des graphistes. Pub? Agence de marketing. Distribution? Partout.

Risque? Aucun. En fait là provient le nerf de la guerre. Le risque. Un artiste inconnu qui arrive sans band, avec des idées de compositions (mais il n’est pas compositeur) et qui désire tout faire fabriquer son projet par un grand avec un chœur et un orchestre symphonique, 1 million d’exemplaires à la sortie facile, eh bien il risque de ne même pas avoir d’accusé de réception. Analogie dans ma vie, en jeu vidéo, le nombre de fois que j’ai entendu quelqu’un m’arriver avec la super idée du siècle et qu’il désire partir avec moi 50/50 (quand je suis chanceux, waouw) à réaliser son idée géniale qu’il a tout pensé dans sa tête quand il n’a même pas un document 3 pages sur son projet et n’est pas capable de voir tous les détails de productions… Ça ne mérite même pas d’accusé de réception. Encore pire: les entreprises ne veulent pas en entendre parler, si jamais ils osaient sortir quelque chose de similaire à leur idée, c’est des plans pour que ces sangsues viennent nous poursuivre pour vol d’idée. Le risque! Enfin, poursuivons…

Les grosses entreprises voient habituellement grand par obligation. Discuter d’un projet, réaliser le projet, campagne de marketing, pousser ce poulain et non pas un autre, affiches, annonces, site web, pub, spectacles, apparences, copies promo, faire aller ses contacts. Des centaines de milliers de dollars seront dépensés pour tout le produit final. En fait, des dizaines de milliers de dollars seront dépensés simplement pour considérer un projet. Leur risque est de passer des centaines d’heures-homme sur un projet qui va avorter ou qui s’avérera une mauvaise idée et pour chaque bonne idée, il y en a 10 qui sont des essais ratés. En d’autres mots, la personne avec un succès va payer pour donner la chance à bien d’autres.

De l’autre bord du spectre, il y a l’auto-production. Tout ce qui est emmené par la grande entreprise sera à la charge de l’artiste. Ça veut habituellement dire des choix déchirants en financement, en qualité d’instrumentation, en temps de studio, en temps de montage.

Et là arrive le pire: les vinyles. L’impression de vinyles en quantité conséquente requiert au moins un disque maître et un moule par face, processus coûtant au moins un millier de dollars. Ensuite, l’impression des disques eux-mêmes n’est pas si dispendieux (un dollar par disque plus la pochette et les extras). Et c’est ce premier montant majeur qui fait mal: mème si on reçoit des disques épreuves, l’artiste n’aura peut-être pas le loisir financier de faire une nouvelle gravure de disque maître avec des correctifs importants (comme la pause numérique de 0.5 secondes entre la piste 1 et 2 du disque). Le disque risque fort d’être amateur et d’être reçu froidement. Et en plus, sans distribution, c’est l’artiste qui devra aller porter ses disques en consignes dans les magasins en sachant qu’il a des tares.

Toutes les couleurs du spectre! Vous comprendrez que j’ai écrit tout noir et blanc, caricaturé à l’extrême. Les plus grands ont des petits projets et des étiquettes d’essai; les plus petits ont la grandeur de leur ambition! Et le tout est de savoir bien se placer, d’y aller vers ce qui va combler notre aspect créatif. Il n’y a pas de mauvaise décision, juste un grand spectre de possibilités. N’empêche que si on compare les disques des grands de ceux des petits, qu’il y a des choses qu’on peut remarquer dans les vinyles (encore une fois, caricaturé à l’extrême):

Les grands vont avoir tendance à surproduire, d’avoir des impératifs de production, beaucoup de chefs indiens qui vont décider et y ajouter leur grain de sel. Les petits, à l’opposé, vont avoir une production faite avec les moyens du bord. Une production d’un autre âge, une quantité moindre de temps de montage, un seul matriçage pour le CD et le vinyle.

Les grands vont maximiser le volume, même sur vinyle (pourquoiiiii?!) quand les petits vont avoir des problèmes à bien rendre les fréquences sur le vinyle, coupant dans le gras avec une machette quand un traitement subtil serait nécessaire.

Les grands vont y aller avec les buzzwords. 180g; half speed mastering; DMM; 45 RPM et avec leur contact, se permettre de payer 5$ du disque pour 5000 copies avec tous ces buzzwords. Les petits vont sortir un beau produit mais parfois bien mal adapté à ce qu’il faudrait que ce soit réellement: disque 33 tours quand leur style musical devrait avoir du 45 tours; un disque à la place de deux, payer 15$ du disque pour 200 copies inadéquates.

Les grands vont avoir un ingénieur de matriçage de renom qui va travailler sur les fichiers (ou bandes) source mais avec une charte de production précise afin d’y donner le maximum de présence qui va peut-être à l’encontre de la musicalité. Les petits vont fournir leur CD à l’entreprise d’impression qui va mettre sur vinyle sans aucune modification et advienne que pourra.

En conclusion, on me pose parfois la question comment je détermine la provenance du matériel source. Non, je ne suis pas dans le secret des dieux, c’est mes oreilles et mes yeux qui le perçoivent. J’écoute, je cherche les indices qui me permettent de savoir si c’est de provenance numérique, à quel point les artéfacts sont visibles. J’écoute la production de l’album, l’enregistrement, le souci du détail dans la post-production. J’écoute parfois la version numérique pour confirmer les différences ou similitudes. Je regarde les sillons du disque qui m’en apprennent beaucoup sur la technique de gravure. Je regarde qui a produit le disque, qui en a fait le matriçage final et je me fais un scénario dans ma tête qui (je le souhaite) colle (un peu) à la réalité. Peu importe sa provenance, chaque disque a l’opportunité d’être un chef d’œuvre. Il ne suffit que d’y donner la passion et sa chance. Pour vous, lecteurs, je souhaite que mes chroniques quotidiennes vous font découvrir des groupes, des bons disques, des mauvais disques, des CD imprimés sur vinyle, des gens attirés par l’appât du gain, les disques faits avec tout le cœur du monde avec la joie d’offrir un produit exceptionnel.

Bonne écoute!