Concept cinq minutes: Le marketing technique du vinyle

Il y a deux semaines, c’était le matériel. La semaine passée, les techniques. Cette semaine, tous les processus, les termes, les types, les choses à savoir. Bref: le ramassis! Et comme une technologie n’est bonne que si on réussit à en faire le marketing, ça reste du marketing en bout de compte. C’est le 3e et dernier long article sur ce qu’on retrouve sur un vinyle, les buzz words, les technologies et tout le reste. Si j’en ai omis, posez la question en commentaires.

D’abord, les choses plus rares… les techniques de réduction de bruit. Il y en a plusieurs et habituellement nécessitent un décodeur spécial. Bref: vous n’en trouverez pas beaucoup!

Image provenant de "Checking out dbx encoded discs", Tapehead blog
Image provenant de “Checking out dbx encoded discs”, Tapehead blog

dbx – Le premier système dbx à avoir été créé, le système dbx type 1 est professionnel et est utilisé sur beaucoup de bandes maîtresses afin de réduire le bruit de fond de chaque piste lors d’enregistrement de rubans à une vitesse de 15 pouces par seconde. Après tout, un peu de bruit de fond sur une piste, ce n’est pas grave. Mais quand on additionne 24 pistes de bruit de fond, ça en fait pas mal! Et quand on ajoute en plus des superpositions sonores (overdubs), ça finit par être vraiment très apparent. Suite à leur succès professionnel, ils ont créé le système dbx type 2 pour monsieur et madame tout le monde, qui a deux sous-catégories. Le décodage pour rubans magnétiques à la vitesse de 7.5 pouces par seconde (vitesse habituelle pour les appareils de maison) et le décodage pour les disques vinyles encodés avec la technologie dbx. Lorsqu’on a un de ces très rares disques encodés avec le logo dbx, le but du décodeur est de prendre les fréquences qui sont problématiques d’un média et de les retravailler d’une certaine façon afin de réduire ce qu’on en trouve disgracieux. Pour les vinyles, ça serait le bruit de fond, réduire ou éliminer le popcorn, augmenter le dynamisme des pièces.

Est-ce que ça marche? C’est du tonnerre! Le bruit de fond disparaît et le dynamisme des pièces est relevé d’une façon ridicule. Adieu les pops de disques, adieu le bruit de fond des disques. On peut augmenter le volume au maximum de son ampli et on n’aura pas de bruit de fond, de hum ou quoi que ce soit de mauvais, même si le disque qu’on joue est légèrement bruyant. La plage dynamique du disque est augmentée encore plus que la plage dynamique d’un CD! Mais aussi, ça ajoute un peu de «robotisation» aux sons. Ça ajoute un côté métallique, des fréquences louches, c’est comme une photo de de modèle passée sur Photoshop pour lui enlever les imperfections: c’est genre trop parfait, ça fait plastique, c’est artificiel.

Et bien entendu, on ne peut pas décoder un disque qui n’est pas dbx (on y perds une tonne de fréquences). Et à l’opposé, si on n’a pas de décodeur dbx, on ne peut pas écouter de disques encodés dbx (ça sonne vraiment aigu et grinçant). Il faut donc un appareil (dans le temps) à 500$ dollars d’aujourd’hui pour écouter ces disques. Et c’est une des raisons pour lesquelles les gens n’ont pas vraiment embarqué dans la technologie. L’autre, c’est qu’un vraiment bon disque, vraiment bien enregistré, sur un bon vinyle de qualité, et dont on a pris grand soin va laisser dans son sillon [sic] le système dbx. On aura une plus petite plage dynamique mais ce n’est pas réellement un problème majeur, et on évite les inconvénients qualitatifs du dbx.

Disque vinyle CX Sampler (Discogs)
Disque vinyle CX Sampler (Discogs)

CX – C’est le petit frère du dbx, fait par CBS, utilisant le même principe mais avec un encodage beaucoup moins extrême que dbx. Le but de CX est de conserver la majeure partie de l’audio identique mais de compresser ce qui est trop fort ou pas assez fort. Ensuite, le décodeur optionnel va augmenter de nouveau la plage dynamique tout en atténuant le bruit de fond. Le principe est bon et il reste compatible avec les systèmes de son de M. et Mme. tout le monde, ce aurait pu lui donner une chance au bâton.

Encore une fois, le gros hic est la qualité sans décodeur. Oui c’est adéquat et ça s’écoute si on n’a pas de décodeur. Mais non, ça ne sonne pas si bien que ça hélas. Toutefois, encore une fois, avec un décodeur, la qualité est vraiment bonne, et de par la simplicité du filtre utilisé, la sonorité est moins robotisée qu’avec le système dbx, au prix d’une amélioration moindre. La technologie est quand même réussie, elle a obtenue une certaine pérennité avec son utilisation sur la majeure partie des systèmes et disques LaserDisc!

 

RCA Victor aimait beaucoup créer des termes pour leurs technologies. En voici deux des années 60 à éviter:

Technologie Dynaflex (de Wikipedia)
Technologie Dynaflex (image de Wikipedia)

Dynaflex – Le vinyle, ça coûte cher. Les presses, ça coûte cher. Beaucoup des disques étaient retournés afin d’être recyclés. Que devrait-on faire? RCA a eu une superbe idée: faisons un disque avec du vinyle d’un peu meilleure qualité (moins de recyclé) et réduisons le poids du disque du tiers (80g à la place de 120g)! Et disons aux gens que c’est une nouvelle super technologie qui rend le disque plus flexible et meilleur! Les gens sont prêts à gober tout ce qu’on leur dit après tout.

À cause de ces disques, je ne garde dorénavant plus jamais le film thermorétractable [je me devais de l’écrire une fois au moins – est-ce qu’on peut s’entendre que shrinkwrap est mieux]. Le problème est que l’emballage plastique serré sur la pochette du disque exerce une pression sur le disque à l’intérieur. Sur un 120g, ce n’est pas trop grave, le disque a de la contenance. Mais sur un 80g, ça les faisait gondoler à la longue!

Qualité approximative du media qui a tendance à ne pas coller à la platine (dans ce cas, les poids pour disques sont intéressants je dois avouer), disque gondolant facilement, disque «pré-gondolé» si l’emballage était trop serré, sonorité déficiente. Pas pour rien que les critiques ont envoyé paître RCA pour cette «avancée technologique»!

RCA Dynagroove (image de White Elephant Records)
RCA Dynagroove (image de White Elephant Records)

Dynagroove – On comprendra que RCA avait la cote pour inventer des technologies les démarquant. D’ailleurs, qui peut les blâmer, il faut se démarquer dans la vie. Et ils ont travaillé très fort sur Dynagroove. Ce sont de multiples procédés permettant d’améliorer la qualité de la reproduction sur les systèmes des années 60.

Afin de n’en nommer que quelques uns, il y a entre autres une augmentation des basses et des aigus dans les moments doux d’une pièce, s’assurant de rester au delà du bruit de fond. D’autres ajustements réduisait les fréquences sélectivement, permettant d’entrer plus de musique sur une face de disque.

Une autre technique est une distorsion du sillon du disque afin de le rendre compatible avec les aiguilles coniques des tables tournantes des années 50-60.

Ces deux techniques utilisées pour le Dynagroove sont des exemples de fausses bonnes idées pour les mélomanes. Oui aux filtres intelligents, mais si on peut ne pas avoir de filtres, c’est mieux! Et la distorsion du sillon est intéressante avec les cônes, mais l’est vraiment beaucoup moins avec les aiguilles elliptiques modernes, et je ne parle surtout pas des aiguilles ultrafines de haute fidélité. Avec ces dernières, hélas, on a une perte considérable de qualité.

Donc, oui, Dynagroove était une excellente évolution pour bien des années, mais ça n’a pas supporté le test du temps, et ce, dès 1965, où encore ces méchantes critiques leur sont tombées dessus! Alors imaginez aujourd’hui!

Je vais mettre une bémol sur ma critique de Dynagroove, ceci dit. Je vais mentionner que ces disques étaient produits avec une très bonne qualité pour les systèmes les plus communs des années 60. C’est l’équivalent de la musique MP3 streaming produite pour les écouteurs boutons (earbud) d’aujourd’hui ou jouée avec les beaux hauts parleurs d’ordi, compressée et maximisée au possible. Que ce ne soit pas top pour un audiophile n’est guère une raison de ne pas le faire si la majeure partie de sa clientèle est satisfaite. Et malgré les déformations, les ajustements de fréquences et le côté louche décrié par les critiques, ça reste que les disques Dynagroove ont étés produits avec une attention au détail qui n’est pas fréquemment égalée sur les disques modernes.

 

Et finalement … la polémique … les drapeaux rouges!

Remastering – Pas tous les disques subissent ce sort, mais 90% des remasters suivent ces étapes:

Quelqu’un a pris un disque (souhaitons) à succès, a pris les bandes maîtresses, les a numérisées sur un ordinateur, a retravaillé le son, appliqué des filtres, s’est assuré que le son soit au goût du jour, et en a fait un nouveau disque vinyle malgré le fait que le disque soit dorénavant numérique.

Les filtres, le goût du jour, ce n’est habituellement pas la meilleure chose au monde. Le passage au numérique fait perdre de cette chaleur intrinsèque aux bandes d’origine. Mais ce dernier passage est presque obligatoire ces jours-ci. Une des raisons est que bien des bandes maîtresses d’origine se détériorent à une vitesse Grand V. Et quand on parle de détérioré, on parle d’inutilisable. Souvent, les techniciens doivent user d’ingéniosité, de fours, de nettoyants à plancher, de solutions alcooliques, de travail manuel soutenu et éventuellement avoir une chance pour tout enregistrer sur un autre média et après, le ruban est inutilisable.

Il y a un son, une chaleur, une qualité à un disque d’origine. C’est très difficilement imitable et habituellement, un remaster va être un peu moins bon. Mais pas toujours! On a parfois la chance de tomber sur une version incroyable. Je dirais que le 3/4 sont passables, ceci dit.

Là provient un autre questionnement: le disque va être imprimé récemment, va avoir beaucoup moins de popcorn, va avoir probablement un bruit de fond moindre, va avoir une sonorité moderne, n’aura pas eu des propriétaires qui laissaient le disque sorti. Pas de recherche pour la copie de haute qualité à 100$. Alors même si c’est un drapeau rouge, est-ce si mauvais dans le fond?

Reissue – Disque réimprimé, souhaitons à partir des mêmes disques d’impression que l’origine. Deux possibilités: soit les disques mères sont encore de très bonne qualité et ont étés parfaitement préservés. Soit non! La majeure partie des reissue sont bons, mais quelques uns sont lamentables.

From the original masters – Lire remaster – c’est du retravaillé, fort probablement en numérique. Donc 3/4 mauvais 1/4 extraordinaire encore une fois. Mais je veux profiter de ce texte pour poser une question encore plus violente: En fait… si ça ne provient pas des bandes maîtresses, ça provient d’où au juste?

Oui, le drapeau rouge n’est pas si on y trouve ce terme, mais si on n’y trouve pas ce terme! Il existe des remasters qui proviennent d’un disque vinyle qu’ils font jouer, passent dans un filtre informatique anti bruit de fond, et gravent de nouveau sur un disque! Parfois, les bandes maîtresses sont inexistantes, soit parce qu’elles sont perdues, ont étés réutilisées pour d’autres projets, sont détruites à cause du temps. Ou encore, pour les disques plus anciens, il n’y avait pas de bandes maîtresses. Tout ce qu’on a parfois, c’est le disque d’impression!

Parfois, on n’a pas le choix, le travail d’archéologie l’oblige. Par exemple, Jack White qui a fait le coffret des disques de Paramount datant de 100 ans. On est chanceux si on retrouve une seule copie d’un disque encore en circulation, alors c’est déjà beau d’avoir cette version.

Donc qu’on le retrouve ou non, ce n’est pas si problématique, mais il faut savoir à quoi s’attendre. Que ce soit écrit ou non, ça reste un drapeau rouge: ce n’est pas un original!

Limited Edition – Entendons nous tout de suite: il n’y a aucune raison valable de faire une édition limitée. Oui, moi je suis un artiste, et j’ai décidé de vendre 500 copies de mon disque, il va être rose. Ok, mais les 500 disques se sont envolées en 2 minutes. Nope! Je ne désire pas faire d’argent, il n’y en aura que 500 copies! 50$

Deux semaines plus tard: Oui, moi j’ai décidé de sortir une copie en bleu, et il n’y en aura que 500 copies! Pas une de plus. 40$

Deux semaines plus tard: Ok, voici exactement le même disque, le même produit, mais autant de copies que vous le désirez, sur vinyle noir, et 30$. ARGH!

Entendons-nous #2: Tout produit est limité par la demande qu’on en fait. Si je crée un disque, je vais en imprimer 100 exemplaires parce que c’est ce que je compte vendre. C’est limité en sale! Ça ne veut pas dire que ça vaut la peine d’acheter un disque que j’aurais créé! Et si jamais ça fonctionne super bien, je risque de faire une réimpression (lire reissue). Et une 2e, et une 3e. Qui sait! Mais le terme édition limitée n’est qu’une technique de marketing poussant les gens à en acheter parce qu’ensuite, il n’y en aura plus.

Audiophile – Je suis un audiophile. J’aime la bonne qualité musicale. Mais j’aime surtout quand on écoute un disque enregistré par un bon artiste. Souvent, ce qui est étiqueté pour audiophiles est un ramassis de mauvais artistes qui sont super bien enregistrés. Je n’ai aucune honte de m’étiqueter en tant que tel, mais je vais avoir très peur d’un disque qui va m’être vendu sous cet auspice.

J’ai même un terme anglo: audiophile crap. Je ne vais pas hésiter à l’utiliser pour n’importe quel disque qui n’a absolument aucun intérêt à l’écoute, mais bordel que ça sonne bien. J’ai un disque sur lequel la qualité d’enregistrement est parfaite, mais que les artistes ne sont pas fichus de ne pas faire de fausses notes sur une pièce archi-connue. C’est inécoutable, mais ça sonne tellement bien!

Parfois aussi, c’est l’opposé. On a un artiste d’avant plan qui est passé au collimateur audiophile, mais avec une très mauvaise qualité de source. Peu importe la quantité de 210g 45rpm quarter-speed qui sera fait sur un disque, si c’est Forbidden de Black Sabbath, on ne réussira pas à polir la qualité sonore pour en faire quoi que ce soit.

Il faut parfois aussi se poser la question que même si on adore Taj Mahal, est-ce que son premier disque mérite un traitement 180g 45 tours en 2 disques pour audiophiles.

(Source: Gawker Media, Men In Black)
(Source: Gawker Media, Men In Black)

En d’autres mots, ces termes sont là pour nous faire acheter encore une autre version du White Album des Beatles. Ce sont des modes souvent passagères, parfois des façons de faire de l’argent encore avec une énième version du même album, et surtout de nuire à la revente de disques parfaitement corrects d’il y a 50 ans. Mais autant il y a des mauvaises entreprises qui ne désirent que de traire encore une même vache à lait et en refiler encore la facture au fan, autant il y a des entreprises, grosses ou petites, et des honnêtes travailleurs qui désirent réellement faire avancer la musique, donner leur maximum. Oui bien entendu, l’ultime but est de faire de l’argent et d’en vivre, c’est tout à fait normal. Et je ne reprocherai jamais à une entreprise de poursuivre un filon! Go! Il y a de la demande, allez-y! C’est pour le bien des disquaires (indépendants ou non), des producteurs, des étiquettes, des artistes, toute une série de gens qui en vivent. C’est pour le bien des amateurs aussi, avec des produits qu’ils vont adorer! Mais je vais reprocher à une entreprise de fournir des grosses bouses fumantes parce que l’amateur va l’acheter de toute façon, de presser la vache, de vendre ce qu’ils font passer pour du lait, mais qui n’est que de l’eau et du colorant.

 

vinyl-761592Ouf! En conclusion à cette série… vous me voyez venir avec mes gros sabots. Encore une fois, je vais le répéter, ça va peut-être vous entrer dans la tête: l’important n’est pas de voir un disque vinyle audiophile 210g limitée 500 exemplaires refaite à partir des bandes maîtresses enregistrées à demie-vitesse; l’important n’est pas de voir une version du même disque datant de 1982 impeccable pressing japonais; l’important n’est pas d’avoir une version CD de 1994 HDCD, un CD remastering 2017 SACD. Chacun peut sonner horriblement mauvais. Chacun peut sonner incroyablement bien. L’important n’est pas la technologie ou l’accumulation de technologie. L’important est le soin qui y est appliqué lors de toutes les étapes du processus. L’important est d’avoir un producteur qui a décidé que ce disque-là, il allait avoir un son impeccable. L’important est d’avoir une vision artistique. L’important est d’y donner le soin et le temps.

L’important n’est pas ce que je dis. L’important est ce que vous, chers auditeurs, dans votre salon, écoutez. Et ce que vous aimez. Et l’émotion qui passe. Oubliez donc les derniers articles. Achetez des bons CD, achetez des bons vinyles. Achetez de l’usagé, du neuf, fouillez, un disque gondolé, un disque impeccable. Aimez votre musique et partagez votre passion!

Bonne écoute!